L’innovation. Et le répertoire

tristan.jpgOn a largement fait savoir qu’une toute dernière occasion était offerte, à partir du 30 octobre et pour encore huit représentations jusqu’au 3 décembre, de voir (ou revoir) la production de Tristan à sensation, confiée voici trois ans à Peter Sellars metteur en scène et Bill Viola vidéaste. Ce ne peut être une annonce en vue d’attirer du monde (comme pour une Petite renarde moins fortunée offerte aux familles) : Tristan remplit. Est-ce alors pour nous prévenir qu’avec le départ de l’actuel patron de l’Opéra, qui, certes, l’a voulue et rendue possible (sans toutefois qu’il y aille de sa poche : mécène il n’est pas et n’a pas à être), cette production s’en ira aussi ? Au titre, peut-être, qu’elle n’a de sens que dans la perspective d’ensemble d’une programmation, une esthétique, une politique (comme il est devenu à la mode de dire dans le micromonde de la culture) qui ont commencé à l’Opéra de Paris avec l’actuelle direction et qui cesseront avec ? Cela pose quelques questions.

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On est d’autant plus à l’aise pour les poser qu’on n’avait pas tout aimé dans cette production ; mais ce qu’on en avait aimé, on l’avait adoré : l’orchestre (sublime avec Salonen d’abord, encore excellent avec Gergiev) ; le cast (à la première, tous indissociables), réalisant un assez rare parcours wagnérien sans faute ; la mise en scène, du seul Sellars, qui vue de près réussissait dans l’immobilisme propre à Tristan un maximum d’affrontements, tendres ou poignants, entre personnages (notamment Marke et Tristan). On avait haï en réciproque et pour les mêmes raisons ce qui empêchait de les voir en montrant juste au-dessus autre chose de plus grand, plus voyant et très inutile, la peut-être techniquement superbe, mais esthétiquement, dramatiquement dérisoire vidéo de M. Viola.

Mais enfin, si on considère qu’au bout de trois ans (ce qui est beaucoup dans la chronologie de la mode, et plus encore de la tendance) ce Tristan est encore valide, à voir, regardable, pourquoi s’en tenir à ce délai ? Si on peut le considérer comme dorénavant un classique, sinon de Tristan, du moins du goût du temps, il faut le montrer aussi comme ce que tout classique est destiné à devenir (et sans avoir honte des mots) : une pièce de musée.

Une production de l’Opéra de Paris appartient au seul responsable de cet Opéra et de son destin : la République, c’est-à-dire le public. Le capital de patrimoine que représentent les productions, avec ce qu’elles coûtent, et ce qu’elles devraient durer, n’appartient en rien à des décisions de patron (c’est bien assez déjà que celui-ci ait le droit de les produire !!). C’est le trésor de guerre de l’institution tout entière. Si médiocrement qu’on ait goûté, ces temps derniers, des productions comme Wozzeck par Marthaler ou Makropoulos signé Warlikowski, on est résigné à les revoir une fois passée la direction qui les a voulues, simplement parce qu’il est souhaitable qu’on revoie ces ouvrages constamment à Paris, et qu’il faut faire avec ce qu’on a. Eh oui, qu’on a. Une maison d’Opéra c’est un répertoire, et c’est un stock.

Longue et heureuse vie, donc, à ce Tristan qu’on nous condamne à mort.

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De haut en bas : 1. Photo Christian Leiber (Opéra de Paris) – 2/3 Photos Ruth Walz (Opéra de Paris) – 4. Mort de Tristan (Photo Ruth Walz) – 5. Mort d’Isolde (Photo Ruth Walz)

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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