Grande voix d’opéra, encore en train de se développer, en texture, en couleur, en charme – et vers de splendides aigus ; mais authentique (donc rarissime) alto clair, né pour l’opéra français d’autrefois, ses dugazons plus enfantines, ses falcons plus adultes. Marie-Nicole Lemieux a en plus cette aptitude, non moins rarissime désormais, à s’imposer par l’immobilité. Superbe voix de concert, donc : le drapé lui va bien, ses yeux, son front, sa pose parlent au public pour elle, il n’y a qu’à laisser aller le chant, somptueusement, sculpturalement.
Son programme au TCE (très bien accompagné par Fabien Gabel et l’Orchestre National) reprenait la moitié de l’excellent récital français qui paraît chez Naïve. Y figuraient, peut être inutilement, Connais-tu le pays, divinement modelé et soupiré, mais qui n’apporte rien en concert et a besoin du moment et de l’ambiance où il se situe dans Mignon ; et l’air de Néris de Médée, qui répète « je te suivrai » comme Rachel dans la Juive répète « il va venir » – en largement moins prenant, urgent : le côté doctoral de Cherubini s’y montre. Splendides Lettres de Werther, révélation de prix avec l’air de Charles VI, vraie scène complète à épisodes, qui expose à plein l’interprète. Somptueuse, aujourd’hui à peine imaginable Dalila, par la chaleur, la passion et, surtout, la tenue. On trouvera dans son disque Les Troyens et l’air d’Hérodiade qui manquaient au concert. Et en toute fin, comme à part, l’air de La Fille du Tambour Major dont (à notre sens bien à tort) Lemieux a voulu faire en bis au concert son feu d’artifice. N’importe quelle demi-portion de chanteuse mettra un public dans sa poche avec ça, et de la pirouette, et restera demi-portion. Hélas, indéniablement le public aime : et le voilà qui en frétille, il en revoudrait. Récompense pour s’être tenu sage pendant que c’était sérieux (synonyme : embêtant) ? Au prochain concert, il demandera le susucre tout de suite, à la place du Cherubini. La sensationnelle Marie Nicole Lemieux a la chance, le mérite aussi (durement acquis par le travail) d’envoyer son public au ciel par du chant noble, où elle n’a guère de concurrente. Des gâteries la rabaisseraient au niveau inférieur où d’autres, qui ne la valent pas, à peu de frais font mieux. À elle de vouloir le mieux qui n’est qu’à elle !!
Marie-Nicole Lemieux, l’Orchestre National de France & Fabien Gabel (TCE, 18.11.2010)
Christian Thielemann au pupitre, le Philharmonique de Vienne, Beethoven symphonique intégral en quatre soirées. Ce devrait être remboursé par la Sécurité Sociale, tant ça fait du bien à l’oreille, à la mémoire, à l’âme.
Les légèretés déconstruites et flâneuses de la Quatrième enivrent d’entrée de jeu ; et la façon dont les instrumentistes mangent dans la main d’un chef qu’ils n’ont pas tous les jours (et tueraient probablement si c’était le cas) est plus éloquente qu’aucune critique ou description. La joie de jouer, que dis-je, l’enthousiasme, et de le savourer comme une récompense et un accomplissement (s’agissant de musique qu’ils savent par cœur depuis leurs bégaiements premiers), rien n’est plus entraînant au concert.
Avec la Cinquième, cela va plus loin car, chauffés par la première mi-temps, les musiciens se jettent dans toute leur gigantesque montée terminale avec une incandescence contrôlée qui transporte. Egmont en bis, plus serré, plus bref, bénéficie immensément de l’intensité acquise, une sorte de gravité introspective peut alors se montrer intensité plus saisissante encore, et nous prend à la gorge.
La merveille de cet orchestre, resté lui-même et intact dans la grande braderie mondialisante, c’est qu’il joue dans ses propres racines, sa propre mémoire, c’est la tradition (la continuité passionnée, l’exclusivité de cette tradition) qui lui garantit cette capacité de prendre feu en toute cohésion. On ne peut s’empêcher de penser que pendant qu’ils se produisent à Paris avec Beethoven, d’autres qu’eux, pour la première fois de l’histoire, prennent leur place dans la fosse de l’Opéra de Vienne (Les Musiciens du Louvre en l’occurrence, pour Alcina, que nous entendrons au Théâtre des Champs-Elysées en conclusion de cette visite viennoise, le 29 novembre). Ce n’est pas la fin du monde, bien sûr. Quelque chose pourtant finit, qui était peut-être bien vital. Qu’on se rappelle Salzbourg, quand ça n’a plus été nécessairement eux dans la fosse pour Mozart ou Verdi ou Strauss, mais d’autres, viennois, ou locaux, mais de toute façon moindre. Une intégrité a été aussitôt perdue ; et autre chose aussitôt s’est engouffré…
Symphonies 4 & 5 de Beethoven, Wiener Philharmoniker, Christian Thielmann (TCE, 23.11.2010)
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