Comme ça ressource, la province, après trois mois fixes à Paris ! On évitera si possible à Strasbourg la foule du marché de Noël — la barbe à papa y est encore mais le Christkindl s’est barré, c’est devenu la foire à la banane. On a entendu à Mathis le Peintre des spectateurs « qui pousseraient jusqu’à Colmar, voir le Retable » ! Les effets éducatifs de l’opéra sont non programmables.
Confort de retrouver le Palais des Congrès, salle à taille humaine, ni trop haute ni trop boîte à chaussures, commode pour voir comme pour entendre, et s’asseoir, et les jambes ! Très bon Kirill Karabits (qui a fait quelques classes ici même) entraînant le Philharmonique dans une Première de Sibelius vraiment racontée, avec torrent, orages et rebonds. Une très maîtrisée (par lui) Symphonie de Stravinsky est à laisser à des formations aux cordes plus soignées. Jean-Yves Thibaudet caracolait, se régalait aux enchaînements, au cantabile, même aux octaves du Premier concerto de Liszt. Soirée conviviale, sans façons, réconfortante.
Palais des Congrès, Strasbourg, 17/12/2010
Et La Belle Hélène alors, reprise dans la mise en scène de Mariame Clément ! Claude Schnitzler vous enlève ça avec une légèreté de main qui ferait trouver pachydermique tel astre de la baguette plus en vue. Son Offenbach vient du rythme, mais va au chant. C’est en noir et blanc, comme tant de bons vieux films ; et la transposition dans un tournage hollywoodien est à la fois assez légitime et très farce, avec des gags drôles et même, miracle, spirituels. Il y a un bout de temps qu’on n’avait pu sans rougir entendre rire un public d’opérette: ici on a participé, et de grand cœur. La culture, les références, la parodie sont partout dans La Belle Hélène, la preuve est faite ici qu’on peut s’adresser à l’esprit du public, le faire rire sans le duper. Le succulent trio patriotique y gagne immensément et même, le croirait-on, on rajoute de la musique habituellement coupée ! Le voilà, notre bon vrai marché de Noël, où parfaits camelots sont Stéphanie d’Oustrac déjantée, jouant Hélène autant qu’elle la chante, le Pâris sur mesures de Sébastien Droy (le physique, la voix, le jeu), Steven Cole, Ménélas impayable, et Leguérinel, Schirrer etc. On le redit, c’est bon de rire, et de n’en avoir pas honte !
Opéra National du Rhin, Strasbourg, 19/12/2010
On espère très fort que Paris, et dans ses plus majestueux établissements, renouera un jour avec l’excellente tradition de l’opérette bien faite. De quand date l’enivrante Veuve joyeuse que Karita Mattila et Bo Skovhus nous ont dansée et chantée au Palais Garnier ? Aucune comédie musicale à l’américaine, même somptueusement montée (on peut compter sur Carsen pour cela, avec My Fair Lady au Châtelet), n’est aussi idéalement, populairement faite pour les Fêtes. Trêve des confiseurs obligeant, redevenu Parisien, on est retourné au ballet, pour la première fois depuis des âges.
Le monde peut envier à l’Opéra de Paris sa superbe compagnie, son répertoire sans cesse refourni. Preuve en est donnée sur deux fronts : Lac des Cygnes complet à Bastille, dans tout son tralala d’origine, Petipa revisité par Noureev
(photo ci-dessus) ; et à Garnier les trois B, Balanchine, Bausch (Pina) et Brown (Trina), la modernité dans tous ses âges et ses états. Salles pleines, public (pas du tout le même) au septième ciel. La qualité d’exécution ici est d’abord qualité d’ensemble, comme il convient. Même les individualités qui ressortent (ayant plus visiblement virtuose à exécuter) ne le font que portées par un ensemble qui est aujourd’hui jeune, sain, vivant, ambitieux — bravo. Quelques remarques pourtant.
Le premier B, Balanchine, un ancêtre et tout en blanc (Apollon musagète), ressort comme le sou neuf qu’il était dès l’origine ; les modernités se suivent, se chassent l’une l’autre (sauf si elles se ressemblent), et lui reste, imperturbable. Mais le ballet romantique à personnages et à action a gardé, et lui seul, pour le meilleur et pour le pire, son style : le geste, la ligne, un mouvement construit en vue d’une grâce, d’un type de grâce, qui peut avoir pris un coup de vieux. Que de temps morts dans Le Lac des Cygnes ! Figuration, cérémonial, intermèdes… Plus d’une fois on peut se croire chez le Landgrave de Tannhäuser, avec les invités, et les discours. L’étoile russe invitée pour Odile/Odette, Ouliana Lopatkina [ci-dessus] a des bras, un sens de la ligne (c’est le legato des danseuses) éblouissants ; et la noblesse, la distance mêmes, comme il sied aux étoiles. Triomphe pour elle. Pour les admirables Messieurs maison aussi, José Martinez [ci-dessus] en tête. Mais on se demande ce qui les autorise, costumés à l’ancienne (et sublimement : Franca Squarciapino) comme ils sont, à se présenter en coiffure de ville. Une nuque rasée dans un rôle noble est un attentat à l’image et à l’identité, elle rompt l’harmonie du geste et du costume, cette harmonie décorative qui est l’unique raison d’être de pareils ballets.
Opéra-Bastille, Paris, 21/12/2010
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