« Giulio Cesare » à l’Opéra Garnier

 

Selon sa propre formule lapidaire —et historique— il est venu, il a vu et il a vaincu. Triomphe pour Giulio Cesare de Haendel, tout sauf une rareté certes, même au Palais Garnier (surnagent dans la mémoire une fois le toupet scénique de Peter Sellars, une autre la vocalité ensorcelante de David Daniels). Mais il n’y avait jamais été traité avec autant de consistance et de cohérence. Honneur donc d’abord aux maîtres d’œuvre, Emmanuelle Haïm avec le Concert d’Astrée qui offre, outre de très spectaculaires solos de cor et de violon, un tapis sonore ondoyant et constamment sensible, reflétant ou suggérant en souplesse ce qui chez les personnages est affetti et effervescences ; et Laurent Pelly, parfait coordonnateur d’une action scénique qui a, Dieu sait, ses temps morts, qu’un habile affairement de machinistes et accessoiristes meuble avec un très réel brio. Pelly fait valoir par ailleurs dans sa façon de manœuvrer et manipuler ses personnages une subtile dextérité de vrai marionnettiste. Le virtuose embrochage d’accessoiristes à la pointe de l’épée




de Cesare, Cleopatra se changeant elle-même en tableau dans tout un concert instrumental sont de plein droit moments d’anthologie. Tout cela n’empêche évidemment pas Giulio Cesare d’être dramatiquement bien arbitraire, s’énervant encore dans les temps morts d’enfilades d’airs à ressorts (qui ne sont pas toujours à rebonds). La très quelconque Isabel Leonard aurait pu nous servir un peu moins de platées de son bien fade Sesto. Nathan Berg (Achilla) est bien ordinaire lui aussi et il n’est pas interdit de trouver Lawrence Zazzo (Cesare) plutôt sage (voir sa vocalisation de l’astuto cacciator) pour un amant et conquérant si enflammé. Belle ligne de chant, sage, chez la Cornelia de Varduhi Abrahamyan, projection mordante chez Christophe Dumaux (Tolomeo). Dominique Visse en Nerino est désormais à prendre dans ses termes, ou à laisser. Assez petit cast, au fond.


L’attention était toute suspendue à la performance de Natalie Dessay, d’autant que son disque avec la même Emmanuelle Haïm regroupant les airs de Cleopatra (y compris les jamais donnés) venait de paraître, trop tôt et trop hâtivement enregistré, et la montrant dans sa plus petite forme possible. On a été heureux de la retrouver, forte de toute façon de l’abattage, l’aisance, la désinvolture corporelle qu’on lui sait, arpentant le plateau (et ses hauteurs) avec un toupet d’acrobate nuancé à l’occasion par une délicieuse chorégraphie personnelle ; et, ce qui est mieux, radieuse parfois d’un plaisir de chanter qui, ces temps derniers, l’avait trop souvent désertée ; avec d’ailleurs une rondeur constante qui çà et là redevenait sourire et même fraîcheur. Musicienne, comédienne comme elle est de toute façon, tous les éléments du triomphe étaient là, et ont été fêtés comme tels.

Opéra Garnier, le 17 janvier 2011

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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