La reprise solennelle cet automne, un peu gelée par trop de respect à Strehler et l’impossible souhait de le recommencer sans lui, avait laissé sur sa faim le spectateur encombré de sa propre mémoire, qui demande tout simplement des Noces qui vont leur train, virevoltent, vivent. Elles le font cette fois, et il faut d’abord en remercier le très étonnant chef Dan Ettinger, chef à tignasse, humour, vitalité à en revendre, qui sait faire entendre chacun des divins timbres qui parfois n’ont à apparaître que le temps d’une repartie, sont le miracle des Noces, et nous enchantent.
Quelle vie ! Quelle jubilation ! Mais aussi quel sérieux, comme il convient, dès qu’apparaît l’autre héroïne d’une soirée follement acclamée, Dorothea Röschmann. Sa voix certes n’est plus celle de la Pamina, la Susanna, l’Ilia (surtout), inapprochable, céleste, qu’elle a été ; l’étoffe, un grain autre aussi, s’y sont mis ; et le poids d’humanité, qui ne fait qu’un avec la richesse du timbre, la tenue de la ligne, à peine elle a eu ouvert la bouche, a saisi la salle, qui suspendait son souffle ; la reprise murmurée, en un souffle (là, en direct ! et avec ce poids vocal !!) de Dove sono a été magie tragique pure ; et le récitatif, l’italien, donnent un exemple à tous ses collègues. Peut être entrainés par le détestable exemple d’Erwin Schrott (par ailleurs merveilleux de panache, de facilité physique, de personnage, en Figaro, mais qui s’invente un sprechgesang italien à lui, qui est du Schrott et plus du tout du Mozart), ils sont tous, au mieux, vagues, ou corrects ; ne traitant pas le mot italien comme la chose belle en soi, musicale, que Mozart (et Da Ponte) y ont mis, ne le faisant pas chanter dans la sonorité, la couleur qui lui sont propres.. Les pires sont les Anglais, en force ici : alternant un piano qu’il semble ne pas avoir voulu et un forte qu’il semble ne pouvoir empêcher, Christopher Maltman, convenable Comte par ailleurs, donne une permanente leçon de mal dire (il faut dire que l’italien des Anglais, leur latin aussi, c’est un dominion en soi, qu’ils sont seuls à habiter) ; l’affreux Basilio de Leggate, l’impossiblement stridente Marcellina d’Ann Murray (parfait personnage d’ailleurs) ne sont vraiment pas un plaisir. Gentille, assez indifférente Julie Kleiter en Susanna. Mais splendide Cherubino d’Isobel Leonard, qu’on avait vue si neutre et timide en Sesto haendélien, assez ostensiblement découpée sur le modèle de von Stade : tant mieux ! Des Noces vivantes comme depuis un bout de temps on n’en avait plus vu ; folle journée ; triomphe. On en redemande.
Opéra Bastille, 17 mai
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