“Faust” à Bastille



Alain Altinoglu (Photo Fred Toulet)

Oublions querelles et scandales, tout cela s’est calmé, Faust reprend à Bastille une carrière moins accidentée, mais qui ne sera pas glorieuse.

On n’en voudra pas à Alain Altinoglu [ci-contre] de n’avoir pas les années de fosse, la pratique de ce répertoire, la bouteille enfin qu’il faut pour exposer les incomparables qualités musicales de Faust, que d’ailleurs il a dû prendre en route.

Inva Mula & Roberto Alagna (Photo Opéra de Paris)

Il laisse à Roberto Alagna le périlleux honneur de rester seul (par élimination en quelque sorte) héros d’une soirée à laquelle il apporte le prestige d’un timbre et d’une diction jamais aussi flattés, et gagnants, que dans le répertoire français, et un aigu glorieux. L’ut de la Cavatine, comme on sait, peut se dérober : mais la ligne de chant d’Alagna établit de toute façon ce qui est aujourd’hui une référence, exemplaire. Inva Mula développe dans Marguerite d’admirables qualités vocales dramatiques, qui assurent à toute la seconde partie de Faust — air de la Chambre, scène de l’Eglise, trio de la Prison et pour finir Anges purs, anges radieux — la vérité dramatique que la mise en scène dans ce même temps assassine, avec ses lenteurs, ses temps morts et ses encombrements. Sûrement les premières séances de travail avec Alain Lombard lui ont montré le chemin de cet élargissement, de cette tenue haut tendue, culminant dans l’immense si naturel qui accomplit son personnage.

Paul Gay en Méphisto offre une très intéressante silhouette longiligne, à la voix mi-noire mi-creuse, le contraire du gras et même huileux auquel tant de slaves nous ont (mal) habitués : un Méphisto blagueur et même farceur, dont la très authentique (et bonne) tradition vaudevillesque s’est depuis longtemps perdue. On en redemande.


Photo X (DR)

Assez bonne surprise avec le Valentin vocalement épanoui du Grec Tassis Christoyannis, à qui on ne saurait demander toutefois le mordant d’un Massard ni le poids souverain, le pur impact d’un Ernest Blanc. On remarque très fort, simple silhouette mais vraie présence (vocale comme scénique), Alexander Duhamel en Wagner. Les deux autres dames se laissent facilement oublier.


Photo X (DR)



Tout cela serait fort bien si la présentation scénique, le décor asphyxiant, la masse de détails (et d’encombrements, de temps morts qui en résultent) ne faisaient pas de ce Faust un monument d’ennui, dont la deuxième partie, passées les lenteurs (légitimes, elles ; qui sont la musique même) du Jardin, arrache au spectateur accablé bâillement sur bâillement, lui laissant juste la force de retenir le « Pitié !! » à haute voix que toute sa carcasse implore. Jean-Louis Martinoty est l’intelligence même, la connaissance qu’il a de Faust est professorale, et il a de très bonnes idées ; inutile de dire qu’en science de scène il sait tout et en remontrerait à tout le monde. Mais c’est que justement il veut tout montrer, et ne nous épargner aucune de ses idées. Deux au moins sont brillantissimes, un autre Faust (incarné au I par Rémy Corazza) permettant que ce soit Alagna lui-même, et un Alagna tout en or, qui apparaisse à ce vieux Faust comme l’incarnation de la jeunesse promise (remarquons toutefois que la voix d’Alagna d’abord caché perd dans ce passe-passe un peu de sa projection, si nécessaire à tout ce premier tableau où il a tant à chanter, et du si beau). L’autre, ce sont ces lavandières compagnes de Marguerite à son Thulé, puis persifleuses : Marguerite au baquet, avant Marguerite au rouet. Hélas, cela impliquera manœuvres de clapets, paniers, linges souillés (du sang, ah ah ah, le pucelage, la naissance aussi), des allées et venues, autant de business de bout en bout que déjà tout au début dans le cabinet du Docteur. Et on n’en peut plus.


Photo X (DR)


Photo X (DR)

Requête donc à Mr Martinoty : la prochaine fois qu’il aura Faust à monter, parmi ces Importants décorés (avec peaux de lapin, rabats, toges) qui vont accueillir les éclopés de retour (et pardon : mais ça, si on ne le fait pas aussi bien que Lavelli, qui le faisait pour la première fois, qu’on ne le fasse pas du tout. C’est l’imagination du metteur en scène qui ici se montre maigrichonne jusqu’au ridicule), parmi ces échevins et chattemites et même tastevins qu’il nous montre un peu haineusement, pourquoi ne fait-il pas figurer aussi deux ou trois de ces néo-importants qui nous assomment aujourd’hui : des metteurs en scène ! On pourrait leur donner pour marque distinctive leurs peaux d’âne, puisqu’ils en sont bardés, érudits et licenciés. Voyez-vous, quand on est journaliste ou écrivain on se fait renvoyer sa copie par le rédacteur en chef ou l’éditeur qui vous demande pour qui vous vous prenez, et ce qui vous fait croire que le lecteur ira au bout de vos débordements. Coupez m’en dix lignes, ou dix pages ! Allégez ! Et ils obéissent, et tout le monde s’en trouve bien : le lecteur, l’auteur aussi. Mais les metteurs en scène tiennent le spectateur à merci, rivé à sa chaise, il ne partira pas,  parce qu’il aime Gounod et ne veut pas faire croire que c’est l’œuvre qui le fait fuir. D’ailleurs, il est là pour entendre Anges purs, anges radieux, pas pour apprendre que Rien ! est le mot qui revient le plus souvent dans Faust. Et en attendant ces Anges, on le punit. Alors ces escaliers à droite et à gauche, cette croix qui monte et qui descend, et le temps qu’il faut pour, et tout ce fourbi tout le temps, et cet échafaud à la fin (que, sauf erreur, le même metteur en scène n’avait pas réussi à caser dans Chénier), eh bien, la barbe !

Opéra-Bastille, 28 septembre 2011

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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