L’Egisto de Cavalli à l’Opéra-Comique



Photo Pierre Grosbois 2012 / Opéra-Comique


Vincent Dumestre & Benjamin Lazar (Photos X)

Le régal de l’Egisto à l’Opéra-Comique, c’est la qualité de son, étoffé, délicieusement timbré et lyrique, que nous offre Vincent Dumestre avec son Poème Harmonique : un son présent, mais n’insistant pas, se projetant plus généreusement à l‘ouverture très belle du III, musicologique sans doute, mais toujours lyrique et chaleureux. Exemplaire, et justement applaudi. Ce n’est pas mince mérite à l’Opéra-Comique d’avoir réuni un groupe de chanteurs qui chantent dans le même style et même, autant qu’il se peut, dans la même qualité, le même esprit du son. Si on ajoute que la mise en scène de Benjamin Lazar insiste dans cette cohérence, fondant les éléments réunis, décor tournant allusif, costumes individualisés et seyants (mais avec style), en sorte que le geste, le visuel aussi, concourent à cette harmonie nocturne que flattent les éclairages, eh bien, on aura parlé d’un vrai petit miracle !

Mais toute chose ayant son défaut, c’est la simplicité même, l’économie (pourtant très méritoire) du dispositif unique qui ajoutent à la vraie faiblesse de la soirée : l’action embrouillée, que la continuité très remarquable de la musique, qui semble couler et tout enchaîner d’un seul trait, rend moins lisible encore, ne laissant pour ainsi dire pas le temps d’isoler mentalement chaque péripétie, et saisir ce qui y est en jeu. Cela fait en milieu de spectacle du dodelinement chez le spectateur même bien prévenu, et les millimètres Cavalli semblent changés en kilomètres. Impression qu’efface entièrement après la pause le spectaculaire troisième acte, où les personnages sont (enfin) mieux identifiés, où la très spectaculaire scène de la folie d’Egisto fait justement climax, après quoi la musique et le chant reprennent avec une grâce madrigaliste simplement irrésistible, en toute fin, avec  trois personnages qui peu à peu s’éclipsent.

Isabelle Druet, Cyril Auvity, Anders J. Dahlin, Marc Mauillon (Photo Pierre Grosbois)


Marc Mauillon (Photo B.M. Palazon-Enguerand)

C’est pour l’ensemble admirablement chanté. Marc Mauillon (Egisto), quoiqu’un rien embarrassé par une tessiture et un timbre de baryton qui trouvent dans cette musique leurs limites (expressives ou de charme : certes pas de virtuosité verbale), cartonne à juste titre dans sa scène de folie, à vrai dire peu intéressante musicalement (on n’en ferait pas un solo à part, façon Lucia de Lammermoor !).

Anders Dahlin & Isabelle Druet (Photo Pierre Grosbois)

Plus avantagé est le chant de chic et de charme d’Anders J. Dahlin (Lidio), à qui échoit sans doute le plus lyrique, le plus élégiaque et délicat de la partition, qu’il chante avec un goût courtois épuré, délicieux. Cyril Auvity (Hipparco), en retrait scéniquement, est l’excellence même, en timbre, en tenue, en ligne.

Ces dames, joyeusement malmenées par le livret, sont brillantes, pas toujours différenciées, Claire Lefilliâtre (Clori) se voyant d’entrée de jeu embarquée avec Dahlin dans un des plus enivrants duo de coquetage amoureux, gourmand et courtois, qu’on puisse imaginer. Il y a plus de rigidité dans la Climène, plus prude, d’Isabelle Druet.

Isabelle Druet (Photo B.M. Palazon-Enguerand)

Les comparses, divinités secondaires, amantes illustres (Didon, Voluptia  etc.) appelées à témoigner, complètent fort bien un ensemble exemplairement harmonisé et uni.

Le plaisir pris à ce Cavalli a eu ses temps de tiédeur, et même longueurs, on a sursauté d’allégresse en croyant y entendre une réminiscence anticipée du duo de Fierrabras (tant la courtoisie est musicalement présente), mais ce plaisir fut à ses meilleurs moments extrême.

Opéra-Comique, 1er février 2012

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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