« Cosi fan tutte » au Théâtre des Champs-Elysées



© Vincent Pontet



Il n’est Cosi si délicieux qu’il n’ait son petit couac. Un instrument (ne disons pas qui) s’est rendu coupable de la légère incongruité. Il est d’autant mieux excusé que lui et ses acolytes, ici constamment sollicités par un Mozart maître absolu de sa palette et jouant en magicien de ses timbres, n’ont cessé de faire admirer leur brio, leur justesse et leurs coloris. On est d’autant plus heureux de le dire que la saison passée on avait trouvé Le Cercle de l’Harmonie et Jérémie Rhorer peu maîtres de leur ton, de leur galbe et de leur projection dans un Idoménée où, il est vrai, la consternante mise en scène de Stéphane Braunschweicg les laissait dans la plus inerte grisaille.

La production d’Eric Génovèse pour ce Cosi est vieille de quelques saisons : de toute façon d’assez loin ce qui s’est vu au Théâtre des Champs-Elysées de plus élégant et simple en Mozart, elle s’est décantée et resserrée, farceuse juste autant qu’il faut, bon enfant et gentille extrêmement, osant les premiers degrés de Mozart, et créant par là dans sa sobriété de teintes et de lumières le climat de complicité qui va si bien à la merveille chambriste qu’est Cosi, où rien n’est exploits (même les choses difficiles qu’il y a à chanter), et tout nuances, équilibres, finesses. On a trouvé beaucoup à goûter et même, disons le très net, à savourer dans le travail de Rhorer lui-même, et d’abord cette vertu devenue la plus rare : l’affection qu’il porte à ses personnages, le soin avec lequel il sertit leur travail vocal des nuances les plus appropriées de timbre et de dynamique. On en donnerait dix exemples, le plus touchant étant peut être cet effacement, ce voile sur le timbre, impalpable, quand Fiordiligi évoque l’intatta fede. Mais les entrelacs des sorelle d’entrée de jeu ; la délicatesse d’elles deux entrant dans la voix l’une de l’autre dans le sextuor des adieux ; l’ivresse sensuelle noyant d’en dessous Il cor vi dono… Tout montre ici le tact d’un chef qui, quoique jeune, sait préférer ses personnages à son propre orchestre, et les fait d’autant mieux vivre que celui-ci donne son meilleur avec un appétit enthousiaste – et contagieux.


© Vincent Pontet



Le plaisir pris à ce Cosi tient beaucoup à ce que tous ici jouent le même jeu, et d’abord Génovèse par l’économie et, dira-t-on, l’humilité de son approche, s’effaçant au profit de Mozart et Da Ponte : le contraire du m’as-tu vu brouillon/branché montré récemment au même TCE par un autre Sociétaire.  Mais le cast aussi. Du léger certes, mais du souple et solide, et poétique par simple obéissance à Mozart. Camilla Tilling est une Pamina ou même Ilia plus qu’une Fiordiligi, mais le style, la classe, un vrai fini vocal aussi compensent, et largement, ce qui manque en texture (tout le temps), couleur (souvent) et palpabilité du grave. Mais triomphe de la sensibilité, ce qui est mozartien ! Son timbre profond et beau, une texture plus serrée, un charmant abattage font la Dorabella de Michèle Losier gagnante de bout en bout, la Despina de Claire Debono restant dans les bonnes limites de l’attendu, comme l’Alfonso de Spagnoli, bon meneur de jeu mais bien court de substance sonore. Quelque chose s’est perdu de la plénitude de timbre montrée par Markus Werba dans Papageno par exemple : brio et abattage, de la séduction, mais plus guère de poids vocal pur. Bernard Richter pour Ferrando en aurait presque trop, sonore et même mordant, plus péremptoire (un Guglielmo à cet égard) qu’on ne l’attend d’un Ferrando. Il tient sans faiblir la tessiture terrible de son Aura amorosa mais finit par s’y griser et bronzer à la fois. Des moyens, du style, du charme, rien d’ailleurs qui approche son miraculeux Atys. Mais il n’ira pas loin dans Mozart s’il ne se trouve pas, pour cette Aura notamment, une mezza voce !



© Vincent Pontet



Mais merci Mozart, merci Rhorer. Une soirée de plaisir musical et scénique partagé, et où le public n’est pas dupe, ça se fait rare !

Théâtre des Champs-Eysées, 22 mai 2012

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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