Rentrée à l’Orchestre de Paris

LGM Télévision et l’Orchestre de Paris en association avec Arte Live Web


Comme on aimerait entendre un complet Ma Vlast ici, avec ce même chef ! Tomáš Netopil a le geste, il met de la substance (de la masse) dans la fluidité, cela chante et cela frémit et toutes voix sont données aux prodigieux ensembles de bois et de vents qui, très différemment mais aussi merveilleusement, sont convoqués aussi bien par Janacek dans Tarass Boulba que par Dvorak dans la Nouveau Monde. Ici des clairières s’ouvrent, des voix de la Nature nous enchantent. Là une modernité, autrement astringente, d’une concision, et cruauté parfois, semble nous venir d’une autre ère de la musique. Il y a plus d’une demeure dans cette Moravie-là, Netopil nous l’avait déjà assez montré dans sa transcendante (et si simple, si naturelle) lecture de Katia Kabanova à Garnier il y a peu. Les timbres de l’Orchestre de Paris étaient à la fête, et s’en donnaient à cœur joie. Avec une couleur moins évidemment gagnante, ses cordes aussi, le konzertmeister Roland Daugareil mis très en évidence lors de ses nombreuses interventions solo, dans Strauss notamment.

C’est sans doute surtout pour ses Vier letzte Lieder que les curieux étaient là. Ils sont si populaires, et l’orchestre de Janacek et Dvorak si peu !

La curiosité se concentrait évidemment sur Anja Harteros, sans doute la chanteuse suprême aujourd’hui dans son vaste emploi, d’Eva et Anna à Elisabeth de Valois et une très attendue Leonora du Trouvère. Il n’était pas évident pour Netopil et l’orchestre de passer des astringences et clashes de stridences surexposés de Tarass Boulba au jardin d’automne et de nostalgie, de mystère aussi, de Letzte Lieder vibrants (et riches d’orchestre et de timbres, Dieu sait) mais où le mœlleux, le fondu du moins, sont devenus de règle. Ils n’y sont pas entièrement arrivés, la pâte sonore ne parvenant pas à vraie homogénéisation (mais donnant en réciproque, dans une lenteur presque hymnique, d’assez merveilleux moments pleins, vibrants, gorge nouée, notamment dans la dernière section de Beim Schlafengehen et une bonne part d’Im Abendrot). C’est peut être tant mieux, la voix d’Anja Harteros n’appelant pas qu’on tende autour d’elle le même cocon sonore vaguement frémissant, soyeux, à teintes de miel ou d’ambre sans lequel une Fleming (par exemple) ne se ferait simplement pas entendre dans ces Letzte LiederHarteros, elle, n’a rien à redouter du plein son coupant, métallique de ses instruments acolytes. Sans doute le jardin complexe et frémissant de September la relègue-t-elle plus d’une fois, même elle, dans les buissons. Mais ailleurs elle règne simplement et de façon objective et nue, souveraine, tranquille de souffle (les dernières phrases de September !), à un niveau d’évidence dans l’expression (les mots comme les sons, dans leur juste longueur et parfois étirement) où c’est l’universel qui parle, de façon anonyme, avec une autorité absolue. Chant simplement parfait, où deux ou trois attaques piano ont été simplement abasourdissantes : c’est cela, l’exécution transcendante. Avec cela on remarquera que Harteros réserve ce qu’a de mœlleux une voix sans naturelle morbidezza plutôt à son Verdi, et comme elle a raison ! Une telle leçon de maintien, intellectuel, spirituel et vocal, dans un Strauss où tant de chanteuses cherchent à fabriquer des états d’âme, à attirer la sympathie, a quelque chose d’unique. Comme Strauss, comme Hesse et Eichendorff aussi, si souvent mis au second plan, ont dû apprécier !

Pleyel,  4 octobre 2012


Prises de vue LGM Télévision et l’Orchestre de Paris en association avec Arte Live et Cinaps.tv (Voir la vidéo du concert)

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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