
Michèle Losier (Médée) et Sophie Karthäuser (Créuse) / © Jean-Philippe Raibaud / Théâtre des Champs-Elysées
Immenses satisfaction et bonheur au TCE, d’abord évidemment parce que la Médée de Charpentier pourrait bien être le chef-d’œuvre de l’opéra versaillais : la sensibilité, la finesse, le format des portraits dramatiques qu’elle offre en musique n’ont pas d’équivalent dans des œuvres plus célébrées, plus décoratives. Mais une autre très bonne surprise nous attendait, qui tient à la représentation elle-même. Pour une fois, une œuvre baroque était dans sa quasi totalité distribuée à des voix saines et timbrées, qui tiennent le son, et traitent le français (ici il est de Thomas Corneille) comme chose belle en soi et à faire savourer dans sa vérité et sa finesse. Au point que Jason, le très excellent Anders Dahlin, contreténor à la française (ainsi il est annoncé) ferait presque tache ici, avec son français appris chez les baroqueux (donc affadi et aux voyelles creuses ou détimbrées) et des façons vocales plus fabriquées. Le naturel dans la façon de traiter la tragédie lyrique à la française, c’est cela qui a été un grand sujet de réconfort dans cette présentation de Médée. Entendre des voix aussi franches et saines que celles de Mlles Losier et Karthäuser (mais aussi Aurélie Legay) ou M. Degout tout simplement dire et moduler (modeler) leur texte sur le sublime continuo que leur offre l’Astrée constitue une des plus vraies et précieuses visites aux merveilles de Versailles qu’on puisse rêver aujourd’hui. Et sans flonflons ni tralalas décoratifs. Dans la nudité du geste, la pureté du galbe sonore. Bravo et merci.
Pour ce qui est de la présentation, il suffit de s’être habitué. On continuera de penser qu’il vaut mieux donner à une œuvre très typée (que ce soit cette Médée ou Rosenkavalier) la scénographie, les costumes, la gestuelle, et aux personnages le visage et le comportement qui leur ressemblent. Un consensus semble aujourd’hui préférer le contraire. Tant pis. Mais du moment que cela n’alourdit pas et ne défigure pas absolument, on a appris à s’en arranger (de toute façon, contrairement à ce que croit plus d’un metteur en scène, le spectateur finit par ne plus regarder que les interprètes acteurs/chanteurs et leurs visages, et a vite fait d’oublier ce qu’on lui montre d’autre). Mais tout de même. Tout cet empois et cette révérence du Prologue, qui met le monde et la ville aux pieds du souverain, ça n’a plus guère rien qui aide à le supporter quand les bergeries et pastorales qui les illustrent sont remplacées par du noir, du ciré, de l’abstrait (et arbitraire). Mais enfin il faut que ça soit comme ça, on vivra avec, remerciant M. Audi de ne rien montrer qui alourdisse ou encombre. Ce n’est pas mince mérite.
L’a-t-on assez dit, la joie de la soirée venait de la musique, donnée dans sa force dramatique la meilleure, qui est la vérité expressive de l’inflexion. C’est une vraie équipe vocale qui est rassemblée ici, chacun s’attachant à chanter (et dire) dans le même jardin linguistique. Compliments à tous sans exception.
Mais salut éminemment à Emmanuelle Haïm qui fait rendre au Concert d’Astrée une qualité de soupir et de colère, une passion lyrique et une pureté de timbres sans lesquels le beau chant qui nous vient de la scène ne se sentirait pas aussi confortablement soutenu, serti et servi. Et retrouvons tout du sublime Charpentier, trop longtemps négligé, tellement plus italien (par la sensualité spiritualisée et la tendresse) et plus peintre (par le modelé et la pâte) que le terriblement français et royaliste Lully, et dont cette saison nous montrera encore (à l’Opéra Comique, et Dieu sait encore dans quel habillage scénique) le pur joyau qu’est David et Jonathas.
Théâtre des Champs-Élysées, le 17 octobre 2012
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