On avait des appréhensions, on peut l’avouer : une opérette vieille de presque un siècle, et dont le parfum était déjà largement éventé quand on l’a vue en ce même Opéra-Comique, dans les décors de Dignimont, en début des années 50 ! C’est que l’Histoire, mais l’anecdotique aussi, et le folklore plus que tout, le folklore parisien, cela va vite. Depuis que Paris n’a plus de Halles, Ciboulette a perdu son insertion, sa caisse de résonance, peut être bien son sens. On peut rhabiller, mettre au goût du jour, tenter de faire plus actuel : les mots d’esprit, les allusions, le vêtement. Plus d’une fois on a vu ce que ça donnait ! Et le pauvre, le cher Reynaldo, lui-même si daté, délicieusement daté, qu’allait il rester de sa mélancolie mozartienne, de ce parfum inimitable de gouaille et de nonchalance qui l’a fait unique et où, certes, Poulenc, aussi mélancolique (mais autrement) et lui, certes, délibérément canaille, ne l’a pas suivi. C’est dire si on appréhendait !

Guillemette Laurens (Mme Grenu), Julien Behr (Antonin), Julie Fuchs (Ciboulette), Jean-Claude Sarragosse (Mr Grenu) – © Elisabeth Carecchio / Opéra-Comique
Eh bien la surprise n’en a été que meilleure. Un public qui s’attend à s’amuser, et le fait, et même reprend en chœur (timidement, soyons juste) le refrain quand on l’y invite. Un metteur en scène, Michel Fau, qui ne se moque ni de l’attente de ce public, ni du chef-d’œuvre, certes mineur, mais exemplairement chef-d’œuvre (et en quel péril !) qui lui est confié. Une distribution d’ensemble qui y va franchement, et avec tout ce qu’il faut de voix, sinon toujours de style : mais qui s’attend à encore entendre, et qui reconnaîtrait, d’ailleurs, un style qui fut celui d’Edmée Favart et Jean Périer ? Il existe des disques d’opérettes de Michel Fau, avec soit des chanteurs à voix soupirant comme il l’entendait, soit sans guère de voix (Lucien Baroux, Simone Simon, l’incroyable Jane Morlet dans les couplets de l’équitation de Brummel) disant comme il voulait. Il n’y a plus d’équipe aujourd’hui qui puisse nous donner cela, mais d’abord il n’y a plus d’esprit collectif de Paris qui le produise, avec cette blague, cette gentillesse, ce chic aussi, qui sont d’un autre temps. Ce n’est la faute à personne. Paris est devenu un autre Paris et notre oreille une autre oreille, irréversiblement. Il est plus que méritoire à cet égard que la troupe réunie Salle Favart chante si proprement, et si agréablement en général.
Excellents jeunes de l’Académie fondée à l’Opéra-Comique pour les petits emplois : la Zénobie d’Eva Ganizate, le Roger de Ronan Debois en valent de largement plus confirmés. Parfait Antonin de Julien Behr, impressionnant (mais sans doute trop jeune et sûrement trop raide) Duparquet de Jean François Lapointe. Délicieuse Julie Fuchs, qui dans un rôle à demandes si diverses a l’essentiel : l’abattage, l’aisance en scène (et dans le parlé) et une jolie voix fraiche, sans les stridences de plus d’une Ciboulette de naguère. Avec Behr elle a trouvé à soupirer de façon charmante, attendrie, un rien narquoise le délicieux « Comme frère et sœur » qui est sans doute ce qu’il y a de plus Reynaldo dans cette œuvre. Bravo ! Mais ce n’était vraiment pas la peine de sortir des dernières écumes de la Nouvelle Vague, pour Madame Pingret, authentique rondeur, Bernadette Lafont qui est tout sauf une truculence.
Le copieux et très documenté (comme toujours) programme de la soirée commet l’imprudence de rapporter ce que Reynaldo Hahn lui même disait des périls qui guettent les chanteurs et parfois ruinent leur travail : les chefs qui font sonner leur orchestre (ici Toulon, intrinsèquement bon) et accompagnent leurs chanteurs à tour de bras. Se doutait-il que Mme Equilbey allait un jour diriger Ciboulette ?

Safir Behloul (Grisard), Julie Fuchs (Ciboulette), Bernadette Lafont (Mme Pingret)
© Elisabeth Carecchio / Opéra-Comique
L’Opéra-Comique le 20 février 2013
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