Wolfgang Sawallisch (1923-2013)

On ne peut pas voir s’en aller Wolfgang Sawallisch sans se dire que lorsqu’il a quitté son poste directorial de Munich, quelque chose de toute façon s’en était déjà allé avec lui, et probablement pour toujours. Il avait tout pour l’opéra comme on l’a toujours fait : le sens du travail de l’équipe, de l’ensemble ; un talent de pianiste hors du commun (Walter Legge disait de lui que quand on est si bon pianiste, c’est presque scandale qu’on devienne en plus si formidable chef d’orchestre) qui lui permettait d’accompagner ses chanteurs, de leur être avant chef d’orchestre d’abord chef de chant ; une capacité de travail et d’abnégation dans le travail rare, même par les standards allemands ; une culture et une ouverture personnelles, et un répertoire d’une variété immense (sauf erreur, les seules œuvres qu’il ait regretté de n’avoir pas trouvé à diriger dans sa vie étaient Pelléas et Salomé). Dès la fin des années 50, Bayreuth l’avait distingué : Tristan pour Wolfgang Wagner et le Holländer pour Wileand, c’était déjà lui, et un dramatisme simple, efficace, une théâtralité de la musique qui s’installait sur la scène, n’y faisait qu’un (voir le déploiement choral fantastique du Holländer) avec la mise en scène elle-même. Il était gâté à cet égard : Wieland Wagner tout de suite puis, dès qu’il sera à Munich, Günther Rennert, Ponnelle ensuite. Âge d’or, qui était celui de la compétence, et du travail. Dès la même fin des années 50, cependant, il débutait pratiquement au disque, et à quel sommet : l’équipe vertigineuse réunie par Legge pour le premier Capriccio enregistré, c’était pour lui.

D’abord chef principal, puis patron, il a incarné l’esprit de Munich pratiquement un quart de siècle, mettant Munich à l’absolument premier rang des maisons d’opéra mondiales. On y faisait à la fois de la musique, au niveau suprême, et du théâtre, au niveau suprême. Rare harmonie, miraculeux moment d’équilibre, exemplaire pour le monde lyrique en plein boom (disait-on) mais en pleine mutation aussi où, l’opéra ne se renouvelant qu’à peine (faute de créateurs), il fallait maintenir au répertoire ou plutôt lui inventer une qualité toute neuve, chercheuse , risquée : cela sans hasarder les vertus déjà bien hasardées ailleurs mais toujours agissantes à Munich : le style, l’intégrité musicale, le niveau du chant. Il y avait à demeure Fischer-Dieskau et Varady, Popp, Fassbänder, Varnay bientôt vieillissante ; Domingo ou Rysanek en hôtes habituels ; la place de Carlos Kleiber était toujours prête quand Carlos choisissait de venir, et c’étaient des Rosenkavalier et des Bohème alors comme on ne rêvait pas qu’il y en eût encore.  Merveilleux Sawallisch, toujours tiré à quatre épingles,  toujours effacé, laissant le flux instrumental de la musique aller réglé et souverain comme le char d’Apollon et le chant s’envoler. Serviteur et magistral.

Un jour, assis affable dans son bureau sous les portraits de ceux qui l’avaient précédé, il m’a dit : « J’ai entièrement et chaque jour conscience que je suis dans le bureau de Bruno Walter ». Un certain festival de juillet il a réussi à présenter dans la ville natale de Richard Strauss tous les opéras de Richard Strauss, répétés et accomplis, comme étant le pain quotidien de la maison, et les dirigeant presque tous (sauf Salomé, comme on sait). De sa belle maison mi montagne mi campagne il surveillait les deux versants, Munich, Salzbourg. Homme d’équilibre et de patience, et d’équilibre dans la passion. Retrouvera-t-on, recommencera-t-on ces vertus ? L’opéra d’aujourd’hui, le monde d’aujourd’hui, les reconnaissent-ils comme encore nécessaires ? Utiles ?

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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