Printemps à Aix sous l’égide de Renaud Capuçon

Dominique Bluzet et Renaud Capuçon

Renaud Capuçon a réussi son coup. C’est un animateur né, ses camarades musiciens le rejoignent volontiers dans ses initiatives. On a vu la chose commencer à Deauville il y a une bonne quinzaine d’années, quand tous ces aspirants virtuoses étaient pour ainsi dire en culottes courtes, et apprenaient à s’investir corps et âme dans la difficile convivialité de la musique de chambre. Renaud indiquait, il inspirait, il explorait : un leader né. Entre temps il s’est arrangé pour devenir populaire et même, sans s’y abîmer (ni abîmer son jeu, qui au contraire a pris de l’ampleur, une sonorité mâle, autrement profonde), médiatique.

Le voilà donc qui convoque autour de lui, dans un tout autre paysage et environnement, les Etats Généraux de la jeune musique de chambre française à Aix. Beau concept ou slogan tout neuf, et porteur d’avenir : « Génération @ Aix ». C’est pour cette nouvelle vague qu’on a fait le voyage. Le Grand Théâtre de Provence prête sa logistique et ses structures à l’entreprise, qui s’inscrit parfaitement dans le fort programme culturel en cours autour de Marseille où Aix, sur titres, représente la musique. L’Archevêché est hors circuit, réservé au festival d’été et à l’opéra de plein air. Mais le délicieux Jeu de Paume, à l’acoustique et à la dimension également idéales, est mis très à contribution.

Sur nos trois journées d’Aix deux manifestations n’avaient rien de typique, et pourraient se voir ailleurs. Mais ce n’est pas tous les jours ni partout que Radu Lupu donne un programme entièrement Schubert, avec en seconde partie une si bémol D.960 d’une architecture sonore calme et impérieuse, à couper le souffle, emplissant le GTP d’un public qui faisait entendre par son attention et son silence qu’il était venu pour la musique, et par motivation individuelle. Matthias Goerne a eu moins de mal à emplir le plus modeste Jeu de Paume. Mais même attention concentrée pour sa Belle Meunière avec Pierre Laurent Aimard au piano, net et incisif d’articulation, à quoi Goerne répondait par des contrastes et une dynamique plus accusée qu’à l’ordinaire (sa Meunière n’est pas la même avec Eschenbach, plus sentimental, ou Andsnes, plus visionnaire). Deux admirables soirées solo, dont la place est toute trouvée dans ce projet de printemps, à titre de schubertiades !

 

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Renaud Capucon, Valeriy Sokolov, Gérard Caussé, Léa Hennino, Edgar Moreau et Yan Levionnois, au Théâtre du Jeu de Paume

 

Mais que dire de Renaud Capuçon et Valeriy Sokolov en tête des violons, Caussé alto, le tout jeune Edgar Moreau au violoncelle pour le Premier Sextuor de Brahms ! Ici l’échange et le relais des sonorités, la vibration chaleureuse maîtrisée offrent un régal musical d’exception, que précédait le Troisième Quatuor avec piano, avec Nicholas Angelich au piano : relances, contrastes, dramatisations, toute une mise en scène d’une convivialité musicale d’un tout autre type ! Convivialité sera presque trop faible pour dire la bonne humeur, une sorte de tendresse mutuelle qui réuniront le samedi midi au Jeu de Paume Angelika Kirchschlager, désarmante de charme et de simplicité, le piano de Jérôme Ducros et le violoncelle de Gautier Capuçon. Tout un programme, qui va chercher jusqu’à Kreutzer, Mercadante et Massenet pour que le violoncelle de bout en bout entremêle sa grande voix à l’habituel dialogue chant/piano, c’est une aubaine, d’où est sortie au moins une révélation, celle des très splendides Three Songs de Frank Bridge. Mais quand c’est le violoncelle et non l’alto qui prend sa part des célestes Geistliche Wiegenlieder de Brahms, leur frêle architecture s’en trouve forcément un peu noyée !

C’est sur la soirée du vendredi 5 évidemment que l’attention était fixée : la carte blanche à Renaud Capuçon. On était vraiment en famille avec, comme dans toutes les fêtes de famille, surabondance de petits plats, et autres moins petits, apportés par les uns et les autres à la fortune du pot. Contribution star, Jorg Widmann et son duo flambant neuf pour le violon (lyrique, virtuose, très bien mis en valeur) de Renaud et le piano de Frank Braley. La clarinette de Widmann redevenu instrumentiste rayonnera dans le Trio de Brahms et étincellera dans Berg, miraculeusement enlevé, esquissé ; un peu de Webern, mais très merveilleux, pour le violoncelle de Clemens Hagen et le piano de Ducros. Quatuor de Mahler pour commencer, lieder de lui puis Korngold au passage, Nuit transfigurée de Schoenberg (et avec quelles cordes soyeuses, vibrantes, dangereuses !) pour finir. Cohérence, consistance absolue du propos, on est à Vienne, la Vienne de la Sécession et de l’Art Nouveau. Toute une neuve façon de faire ensemble de la musique s’est instituée alors, et recommence ici. Tous, ce soir, nous donnent le sentiment de s’embarquer pour la même aventure enthousiaste, qui connaîtra nombre d’autres printemps. Morale de l’histoire : la jeunesse, ça se transmet ! Et du coup, ça dure.

 

Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, les 3,4,5, 6 avril 2013

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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