« Hänsel et Gretel » à l’Opéra Garnier

 

C’est une très bonne surprise que nous apportent de doubles débuts à l’Opéra de Paris : Hänsel et Gretel au répertoire, et Mariame Clément metteur(e) en scène. L’un comme l’autre, on les connaissait : la féerie de Humperdinck pour l’avoir quand même trois fois vue en scène (plus quelques autres au DVD) ; et Mariame Clément pour sa simplicité et sa sensibilité, son attention aux interprètes (et accessoirement au public) tant dans Werther que dans Rosenkavalier, tous deux à l’Opéra du Rhin. Elle a des titres intellectuels éminents, ne s’en vante pas (à la différence d’un confrère aîné, dans la biographie officielle de qui apparaît qu’il a enseigné la philosophie quelques mois sur ses 20 ans…), et fait que dans son travail on n’en soit pas assommé en filigrane. Elle s’est formée théâtralement à Berlin, sait son allemand, mais ne se croit pas pour autant obligée de travailler dans le concept (ou konzept) ; au contraire (et ça se fait rare) elle croit aux images et à leur pouvoir, elle croit aussi aux personnages, sans la crédibilité, la palpabilité, le charme scéniques desquels aucun théâtre n’a de sens ; elle croit même au chant, et que le chant ajoute à la vérité scénique, ce sans quoi c’est l’opéra qui n’a plus aucun sens. Elle  vient de faire dans la turbulence du microcosme lyrique français une entrée qui remet quelques pendules à l’heure. Elle prouve qu’on peut faire à l’opéra les deux choses à la fois : y apporter les sophistications et décalages calculés qui font nouveau, individuel, original ; et respecter pourtant les évidences, généralement insupportables à la vanité des metteurs en scène, difficiles d’ailleurs à rendre évidentes, mais sans lesquelles le public est floué. On peut. Mais seulement quand on sait. Mariame Clément sait. Merci à la culture, quand elle est matière première du professionnalisme.

 

Anne-Catherine Gillet et Daniela Sindram jouent les rôles de Hänsel et Gretel. © Opéra national de Paris/ Monika Rittershaus

Anne-Catherine Gillet et Daniela Sindram jouent les rôles de Hänsel et Gretel. © Opéra national de Paris/ Monika Rittershaus

 

À la fois la sophistication, et les apparences, sont sauves. Une scène dédoublée, des personnages eux mêmes dédoublés, mais reconnaissables et palpables : rêve et réalité se jouent en miroir l’un de l’autre. Ce pseudo réel ne cherche même pas à se montrer vraisemblable. S’il s’impose, c’est par la puissance de sympathie que la mise en scène infuse aux personnages, les enfants comme les parents. Nous sommes dans notre propre rêve, à notre sympathie de jouer : et il n’y a pas d’exemple qu’elle ne le fasse pas à l’opéra, quand elle est sollicitée avec cette affectueuse complicité. Non, nous n’aurons pas de forêt ni de Hexenritt, la suggestion seulement (pour celle-ci la musique suffit, et celle de Humperdinck est somptueuse) et nous n’aurons pas non plus de maison de pain d’épices ni de fée Grignote, mais mieux en l’occurrence : le très beau (et sûrement très bon) gâteau d’où va sortir une très éblouissante Méchante Reine toute en paillettes, qui finira dans le fourneau aux applaudissements de tous. N’en disons pas plus, on ne prétendra pas que ce Hänsel et Gretel puisse marquer dans votre vie de spectateur une date fondatrice, l’œuvre même ne le mérite pas. Mais tant de soin apporté à la possible jubilation de tous, sans relent de dissertation ni jugement doctoral suggéré en coin sur l’éducation, les fautes des parents, la sexualité enfantine etc, c’est trop rare pour qu’on ne le salue pas avec gratitude. Le public l’a assez manifesté.

 

Anne-Catherine Gillet (DR)

Anne-Catherine Gillet (DR)

 

Il est vrai que l’orchestre dirigé par Claus Peter Flor lui donnait de quoi se régaler, révélant (bois et cuivres de l’Opéra y aident puissamment) une somptuosité sonore, presque disproportionnée au poids propre de l’argument. On ne s’étonnera pas que Karajan s’y soit investi pour ses tout premiers 78 tours, puis pour son premier grand opéra complet ! Un grand bravo aux chanteurs pour n’avoir pas seulement superbement chanté leurs rôles (la Gretel d’Anne-Catherine Gillet jusqu’au , Irmgard Vilsmaier, la Mère, pétoire vocale à chasser toutes les sorcières. À quand Brünnhilde ?) mais avoir imposé des personnages adultes par la  taille et la voix, et qui font quand même rêver. Daniela Sindram est l’excellent svelte Quinquin qu’on sait, mais son Hänsel reste plausible avec nounours ; et Anja Silja, avec dans la voix trois notes comme des crocs, est l’archétype même de la fée à maléfices ! À la fois glamour, et désopilante, elle conduit un très irrésistible sabbat/cancan de sorcières. Peau d’âne vous est raconté, en habits un peu changés. Vous y prendrez un plaisir extrême.

 

Opéra Garnier, 14 avril 2013

 

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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