“Don Giovanni” au Théâtre des Champs-Elysées

 

Le chœur et Markus Werba (Don Giovanni) au centre (© Vincent Pontet)

Le chœur et Markus Werba (Don Giovanni) au centre (© Vincent Pontet)

 

J’avoue m’être rendu au Théâtre des Champs-Elysées en traînant un peu les pieds. L’effort conjoint de Stéphane Braunschweig et Jérémie Rhorer dans Idoménée voici deux ans m’avait laissé un goût assez amer d’impréparation, désinvolture et prétention en même temps. À tout péché miséricorde, le Cosi qui suivait m’enchantait, dirigé par Rhorer d’une main affectueuse et légère (avec un autre partenaire à la régie). Mais enfin Braunschweig est un vrai homme de théâtre, avec une pratique mais aussi une profonde culture du théâtre : et on peut n’avoir pas particulièrement réussi (ni peut être goûté) les opéras qu’on a déjà mis en scène, et flairer, discerner dans Don Giovanni quelque chose qui regarde les conventions et pompes du théâtre lyrique de très haut, et dont la simple intelligence du théâtre, la culture, la réflexion trouvent mieux le chemin. C’est ce qui s’est produit. Dans un dispositif qu’il a conçu en scénographe économe et imaginatif, Braunschweig varie, multiplie et aménage les espaces, procurant entre les tableaux un suivi, une cohérence et une sorte de fondu qui donnent à l’action une mobilité agile qu’on n’a pas souvent connue à Don Giovanni. Ajoutons-y des idées, quant à Leporello pivot et miroir (témoin, ou conscience) de l’action, quant à l’allure virevoltante et sans épaisseur de Don Giovanni, quant aux masques portés, quant à la mort et à la trappe de feu qui va dévorer le vivant etc. : idées qu’on n’aime pas forcément mais dont aucune n’est là seulement pour prouver qu’on a des idées. Ajoutons, et c’est là le prix essentiel du spectacle, une direction d’acteurs d’une simplicité, d’une efficacité et d’une élégance supérieures. Bref, on tient là un travail scénique exemplaire, un Don Giovanni aux normes d’aujourd’hui par ses éclairages et sa scénographie, un classique d’aujourd’hui.

 

Le baryton autrichien Markus Werba et la soprano italienne Serena Malfi (© afp.com / Pierre Verdy)

Le baryton autrichien Markus Werba et la soprano italienne Serena Malfi (© afp.com / Pierre Verdy)

 

Robert Gleadow (Leporello) & Markus Werba (Don Giovanni). © Vincent Pontet

Robert Gleadow & Markus Werba (© Vincent Pontet)

Tout le monde dans la distribution joue très bien ce jeu-là, avec en tête Robert Gleadow, Leporello toujours présent, facile de geste, facile de voix (pas grande voix d’ailleurs, ce qui ne mènera pas loin dans la carrière cet artiste disponible et intelligent). Markus Werba (Don Giovanni) est la musique même, agile en scène, du charme, décidément petit format. Style, demi-teintes et vocalises superbes chez Daniel Behle (Ottavio), avec un timbre un peu gris qui ne le mènera pas loin non plus.

Chez ces dames Miah Persson, carrément en perte de timbre et de couleurs, plafonne en Elvire, avec classe, il faut le dire ; et Sophie Marin-Degor ne fait pas beaucoup plus qu’assurer en Anna, ce qui déjà n’est pas mal. Le point vocal radieux de la soirée est chez Serena Malfi, timbre et texture riches, avec la vitalité de Zerline et un vrai plaisir de chanter. Elle et Gleadow font très bien passer le duo Leporello/Zerline toujours coupé, dont Braunschweig leur fait d’ailleurs faire une très jolie scène.  Mais si on veut nous donner le Don Giovanni version Vienne, alors qu’on coupe l’air d’Ottavio, que diable ! Car ce milieu de 2° acte d’un coup n’est plus que cela : une séquence de temps morts.

 

Derrière : Daniel Behle, Sophie Marin-Degor, Miah Persson, Serena Malfi, Nahuel Di Pierro, et devant : Markus Werba (Don Giovanni), Robert Gleadow. © Vincent Pontet / Wikispectacle

Derrière : Daniel Behle, Sophie Marin-Degor, Miah Persson, Serena Malfi, Nahuel Di Pierro, et devant : Markus Werba, Robert Gleadow (© Vincent Pontet / Wikispectacle)

 

D’autant que l’enchaînement des épisodes autour de Leporello déguisé et cherchant une sortie s’est passée dans une agitation sonore ni maîtrisée ni concertée. On s’en était déjà aperçu avec le Trio des Masques et le Trio du balcon, le talent principal de Rhorer n’est pas d’équilibrer ses ensembles : ni en chambriste supérieur, comme il le faut dans ces deux cas ; ni en maître d’œuvre dramatique, comme il le faudra dans le finale à l’arrivée du Commandeur, qui va n’être plus qu’une sorte de concerto pour grosse caisse assénée et rumeurs sonores y perçant comme ça peut. On s’y préparait dès l’Ouverture d’ailleurs, entendant ces accords écrasés à toute force, d’où s’échappent des cordes si frêles de son, des pinsons contre un marteau piqueur ! Je regrette d’avoir besoin pour mon Mozart d’une autre consistance orchestrale, d’une autre articulation, d’un autre legato et, pardon, d’un autre suivi dans les idées. Le Cercle de l’Harmonie est follement applaudi, approuvé, voici Rhorer divinisé comme Mozart en personne revenu au monde.  Calmons-nous et retrouvons-le plutôt chez Fritz Busch, Böhm, Giulini. Ils sont morts, je sais. Mais leurs disques sont au présent.

 

Théâtre des Champs-Elysées, 30 avril 2013

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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