Lucia di Lammermoor à l’Opéra-Bastille

La production d’Andrei Serban, d’abord iconoclaste, a bien vieilli. La première Lucia y était June Anderson. La voici devenue une sorte de classique, à l’ancienneté. On en a vu tant d’autres depuis, qui militarisent l’action ! Celle-ci du moins avait la nouveauté d’exposer dans une lumière assez cruelle l’héroïne manipulée, prisonnière d’un système machiste où le frère tortionnaire ne joue pas le beau rôle.

La distribution, de luxe, a suffi à assurer à cette Lucia di Lammermoor une reprise acclamée, et éclatante. L’énoncé du cast dit tout : Patrizia Ciofi, virtuose belcantiste, et artiste d’abord ; Vittorio Grigolo et son timbre, son charme,  gagnants ; Ludovic Tézier et sa ligne somptueuse, son aplomb aussi, désormais immense ; et jusqu’à Orlin Anastassov en Bidebent ! Avec Maurizio Benini aux commandes et les chœurs en voix épanouie, ovations. La seconde première s’est jouée sans décors, journée nationale de protestation syndicale sur la question des retraites. N’importe. La direction d’acteurs de Serban (un de ses vrais points forts) assure ce qu’il faut de mobilité et de vérité à l’action, réduite à l’épure, les chœurs alignés et groupés, le noir comme fond (et même comme décor, comme milieu : et le noir va à Lucia).

 

Sonya Yoncheva dans "Lucia di Lammermoor" à l'Opéra Bastille (Photo fomalhaut.over-blog.org)

Sonya Yoncheva dans “Lucia di Lammermoor” à l’Opéra-Bastille (Photo fomalhaut.over-blog.org)

 

Sonya Yoncheva dans “Lucia di Lammermoor” à l’Opéra Bastille (Photo fomalhaut.over-blog.org)

Sonya Yoncheva dans “Lucia di Lammermoor” à l’Opéra-Bastille (Photo fomalhaut.over-blog.org)

On attendait la performance de la nouvelle venue dans la cour des grands, Sonya Yoncheva, et on n’a pas été déçu : tant de timbre franc, ce chant projeté quand il faut à gorge déployée (une très jolie gorge d’ailleurs, et un personnage physique de toute façon superbe), une enviable technique de vocalisation, cette liberté enfin à l’intérieur d’un rôle entièrement assumé, habité et accompli (vocalement comme dramatiquement), rôle star s’il en est, ça s’applaudit très fort ! Après le très magique solo de harpe d’Emmanuel Ceysson, dans Regnava nel silenzio ce timbre, ce phrasé, cette sensibilité aux mots et cette façon de les faire entendre dans leur poids d’angoisse et de douleur, chez une presque débutante de 33 ans !! Nuançons pourtant. Sa Leila des Pêcheurs de perles à l’Opéra Comique montrait (le rôle s’y prête) quelque chose de lumineux dans le timbre, dans la ligne, une sorte de chaleur qui n’y est plus. Quelque chose de plus grisé ou neutre s’y est mis, qui n’est pas non plus le noir que les tragédiennes mettent à Lucia. Et sûrement l’aigu, là haut, facile comme il est, explose un peu dans sa propre sonorité, laissant attendre, bientôt, quelque stridence. Que trop de Violettas et Annas déjà annoncées ne demandent pas, à force d’enthousiasme, trop de défonce téméraire à une voix aujourd’hui impressionnante plus qu’elle n’est palpablement solide. Graine de star sûrement ; mais sans rien de la pâte de base, de la substance malléable qui ont permis à Anna Netrebko de ne pas se consumer après des débuts analogues. Prudence donc !

 

Sonya Yoncheva & Michael Fabiano (Photo fomalhaut.over-blog.org)

Sonya Yoncheva & Michael Fabiano à l’Opéra-Bastille (Photo fomalhaut.over-blog.org)

L’Enrico franc du collier dans sa noirceur de George Petean, l’Edgardo sonore et bien tenu, mais sans charme vocal, de Michael Fabiano font un cast n° 2 qui passerait facilement en n° 1 sur bien des scènes. On tient à signaler, et saluer, l’Alisa comprimaria, mais simplement parfaite, de Cornelia Oncioiu.

Opéra-Bastille, les 7 et 10 octobre 2013

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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