La Flûte enchantée à l’Opéra-Bastille

 

Pavol Breslik (Tamino) et Julia Kleiter (Pamina) © Opéra National de Paris / Agathe Poupeney

Pavol Breslik (Tamino) & Julia Kleiter (Pamina)
© Opéra National de Paris / Agathe Poupeney

C’est une décision conséquente de priver Papageno de ses couleurs et l’action de La Flûte, si composite, de son pittoresque. Pas de serpent menaçant Tamino au début, pas d’animaux que le son de la flûte enchante. Quant aux Prêtres : le plus souvent en noir, et voilés (innovation, mais dont l’effet pittoresque est maigre : leur chœur comporte des femmes, mais qui ne chantent pas. La parité, probablement ?). C’est beaucoup sembler abstraire et théoriser là où la doctrine de Mozart (s’il y en a une) joue avec jubilation à n’être pas doctrinale. Avec un Furtwängler au pupitre, dans une concélébration délibérément mystique et solennelle, ça aurait un sens. Mais on s’en tient ici plus modestement à un niveau consensuel, nuance bio. Ce manque de couleurs sur scène est relayé par un ralentissement général du mouvement, littéralement plombé par un étirement du dialogue, de toute façon excessif, qui apporte quelques temps morts de plus du fait que le praticable jusque devant la fosse allonge les distances : et ça va être tout un temps (rigoureusement mort) de faire avancer dessus le nombre accru (pour meubler) de messieurs et mesdames les prêtres. Au I ça va encore, les épisodes s’enchaînent et ne traînent pas trop ; mais au II on est chez les prêtres et dans leurs souterrains, l’ennui s’installe vite, et il dure.

Est-il besoin de dire que les mouvements pris par Philippe Jordan n’y sont strictement pour rien ? Ils sont en général d’une pertinence dramatique parfaite ; d’ailleurs la qualité instrumentale, d’un détail exquis, remet un pittoresque et des luminosités pour l’oreille là où pour l’œil il y en a si peu. Les temps morts tiennent essentiellement à la verbosité du dialogue et au fait qu’il prenne si emphatiquement son temps. Quelques inconvénients résultent d’ailleurs du dispositif : ce n’est pas mince mérite au chef de faire tenir ensemble le divin trio Soll ich dich Theurer en se dévissant de son orchestre pour contrôler Pamina et Tamino à ses extrêmes droite et gauche. C’est dommage, car avec un cast irréprochable, à peu près le meilleur qu’on puisse assembler aujourd’hui, et cet orchestre, et ce chœur, on tenait une Flûte à passionnément savourer. Mais on nous a mis un peu d’eau dans notre vin. Je crains bien que personne n’ait encore très bien compris pourquoi tous ces messieurs et dames sont en noir, et quel crime de sang il y a eu entre Sarastro et la Reine. Et, pardon, on continue à sen ficher un peu. 

Pavol Breslik (Tamino) & Julia Kleiter (Pamina) - AFP / Pierre Andrieu

Pavol Breslik (Tamino) & Julia Kleiter (Pamina) (AFP / Pierre Andrieu)

Daniel Schmutzhard (Papageno) et Pavol Breslik (Tamino)  (AFP / Pierre Andrieu)

Daniel Schmutzhard (Papageno) et Pavol Breslik (Tamino)
(AFP / Pierre Andrieu)

Julia Kleiter a la fraicheur directe des bonnes saines Paminas, qui chantent comme elles respirent, comme une source, avec un Bei Männern et un Bald prangt qui seront toujours marginalement meilleurs que l’air en sol mineur (où peut être Jordan pourrait laisser la vocalise davantage se libérer). Pavol Breslik est simplement parfait, de timbre, de ligne de chant, de sensibilité et de bonne grâce. Surtout qu’il n’aille pas trop vite aux tentations plus lourdement dramatiques. Un ténor qui sait rester mozartien, c’est l’oiseau aujourd’hui le plus rare. Ne manquons pas sa Schöne Müllerin le 3 avril ! La somptuosité bonhomme de la voix de Franz Josef Selig, pas inutilement chargée en noir, fait plus que merveille : bonheur. Délicieux Papageno bon enfant et blagueur de Daniel Schmutzhard. Mais on pouvait attendre plus de noirceur (en tout sens du terme) et de mordant chez le Monostatos de François Piolino. Splendide trio de Dames, à qui le noir va bien (sans qu’on voie à quoi diable il correspond).

Julia Kleiter & Pavol Breslik (DR)

Sabine Devieilhe (Reine de la Nuit) & Pavol Breslik (DR)

Sabine Devieilhe (DR)

Sabine Devieilhe (DR)

Très attendue (et applaudie), Sabine Devieilhe fait valoir en Reine (court vêtue et noire) un staccato, des agilités et des fa en place, et qui se font entendre au-dessus de l’orchestre : le tout sans grand caractère frappant, le noir n’est que dans la robe. Il est déjà très beau que dans cette taille de salle elle passe avec netteté. Très beau travail technique de Robert Carsen, les souterrains, les échelles. Il est dommage que le temps gagné par les escamotages de scène se reperde en parlé.

Sabine Devielhe (DR)

Sabine Devielhe (DR)

Arbres superbes, oiseaux délicieux, qui s’égaillent en entendant la flûte de Papageno. Mozart s’arrange de ce traitement monochrome, il a l’orchestre et le chant, il garde sa vie propre. Mais pas Schikaneder.

DR

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Opéra-Bastille, le 11 mars 2014

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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