À partir d’un certain âge on voyage moins volontiers ; notamment en période de presse. C’est dire si les festivals découragent, qui ont la mauvaise idée de se tenir en temps de vacances et de foule. Il ya belle lurette qu’on a renoncé à Aix, à cause des horaires ; à Salzbourg, à cause de journées vides à attendre un spectacle désormais de luxe, et trop souvent décevant ; à Bayreuth à cause de Bayreuth même, qui tourne en rond sans pouvoir se renouveler. D’ailleurs une bonne part de ces fêtes, on l’a (ou l’aura bientôt) disponible chez soi, en direct ou en différé. De son fauteuil, chez soi, on a glané. Arte, Mezzo, notre 2, la merveilleuse SAT, sans compter l’aubaine absolue : les amis dégourdis qui savent capter et vous transmettent le lendemain matin, tout chaud du jour, le meilleur de ce que radios et même TV étrangères ont offert. Le progrès nous doit bien ça. Il a fait assez de mal au lyrique en général, qu’au moins il aide à sa diffusion, sa disponibilité immédiates. Restons donc dans notre fauteuil et écoutons. Et, surtout, voyons. Il y aura des surprises.
L’événement de l’été, soirée annoncée et attendue à grandes trompettes, c’était sur Arte un Trouvère de Salzbourg, clouté non pas de stars (c’est la moindre des choses) mais de superstars. Pour aller avec Domingo plus Netrebko, pas moins, il fallait une idée scénique elle-même superstar. Eh bien on a trouvé. Les personnages vont descendre (pourquoi pas ?) de tableaux illustres accrochés au musée, ce qui leur donnera d’assez jolies et somptueuses tenues Renaissance. L’ennui est que d’abord ces dames (pourquoi seulement elles ?) sont en tenue de gardiens de ce même musée, et font la visite. L’échantillonnage de touristes montrés en scène, et qui y feront une figuration plus plombée, plus pataude qu’aucune scène de troisième zone n’aurait osé en montrer jadis, offre à chacun sa tenue de vacances typées, c’est ce qu’il y aura de plus soigné ici ce soir. Dans ce désordre et cet arbitraire chic, inutile de dire que le peu de cohérence et de plausibilité qu’ont les personnages et l’action du Trouvère se perd corps et biens.
Le chant sauvera-t-il la mise ? Hélas non. Netrebko, si bonne en Leonora quelques mois plus tôt à Berlin (le tout récent DVD témoigne) perd ici beaucoup de son legato, de sa substance crémeuse de voix (peu ménagés il est vrai par Daniel Gatti au pupitre), de sa poésie chantante innée. Domingo encore acceptable à Berlin a toujours son aplomb léonin, mais sa conversion de ténor à baryton se fait aux dépens de l’intonation, de la ligne, de Verdi — et de l’auditeur. Ce n’est pas Marie-Nicole Lemieux, intéressante mais débordée de partout par la largeur et la couleur d’Azucena qui sauverait la mise, ni le minuscule Manrico qu’on attendrait plutôt en Messager dans Aida.
Pour mémoire, le dernier Trouvère de Salzbourg réunissait avec Karajan (qui mettait en scène dans beaucoup de noir cette histoire si nocturne et sombre) Leontyne Price, Simionato, Corelli, Bastianini (que Domingo n’aurait pas mal fait d’écouter), à largement moins cher le prix du ticket. Vous comprenez qu’on ne se soit pas risqué à y aller voir. Non que le Salzbourg moderne dirigé par Pereira soit condamné à ces absurdités de luxe. Don Carlo s’y comportait excellemment un an plus tôt, somptueusement mais légitimement distribué (Kaufmann, Harteros, Hampson, Pappano au pupitre) et mis en scène par Peter Stein, moderne de naguère replié sur le classique, c’est-à-dire ne se moquant pas des œuvres qu’il montre en les travestissant, en assassinant leurs personnages. Nous devions déjà à Arte une Forza del Destino de Munich, fallacieusement annoncée en direct comme reprise en festival (la présentatrice glamour y était, avec quelques caméras pour montrer des spectateurs en tenue d’été) mais il s’agissait de la soirée de décembre dernier où l’on se trouvait (l’Œil de l’Oreille en a rendu compte avec admiration). Harteros et Tézier, monumentaux, Kaufmann prodigieux personnage, la puissante direction d’acteurs de Kusej (mais dans quelle laideur), alors que trouver une place à Munich pour ce genre de spectacle est impossible, quelle aubaine dans un fauteuil !
La TV française (France 2) n’aurait pu se montrer en reste, contournant les intermittents et le temps médiocre qui a été largement le lot du midi. Orange a montré dans Otello un Alagna magnifiquement engagé et concerné, qui incarne toute l’individualité vivante de son timbre, son énergie artiste, dans un personnage dont l’ampleur, la noirceur, la largeur le déborderont toujours fatalement un peu : mais quelle leçon de théâtre et de chant !
Au plus lyrique de lui-même dans son duo du I avec une Inva Mula qui hélas n’y contrôle pas vraiment la trémulation qui en envahit la ligne, Alagna jusqu’au bout nous a fait vivre la fatalité de son Otello. Mais quel piteux encadrement ! Quel Iago calamiteux ! Que d’approximations dans tout, sur scène, dans la musique ! Faut-il que désormais Festival d’été veuille dire en France ce que certes ni Strasbourg ni Lyon ni Toulouse tout au long de l’année ne veulent dire : province. La très agréable Flûte Enchantée qu’on a vue depuis Aix a beaucoup plu. Verve, amabilité, jeunesse, ce sont les vertus de Mozart même. Faut-il que tant de productions nous aient défiguré des vertus évidentes, qui devraient aller de soi (et en tout dernier lieu, venue de Baden Baden puis Paris la toute noire signée Carsen) ! Que La Flûte selon Mr McBurney sache être avenante, enjouée, on salue cela comme prouesse. C’est la moindre des choses pourtant, et tout sauf une relecture. Simple retour aux sources. Mari Eriksmoen en Pamina, Stanislas de Barbeyrac en Tamino, le Papageno nature de Thomas Oliemans, le prometteur Pablo Heras-Casado au pupitre, c’est très bien, c’est ce qu’on devrait avoir partout où se joue La Flûte. Ce devrait être l’ordinaire, celui qu’on doit à Mozart. Mais à des tarifs de luxe ?
D’Aix on a aussi un peu saisi le merveilleux Matthias Goerne dans son Winterreise habituel. Fallait-il que cette prétendue et prétentieuse mise en scène (ou simplement en espace ; plus du visuel) nous distraie de son chant, et peut-être le fasse moins concentré, moins lui-même qu’il n’est tel que Schubert l’a voulu, seul ?
On a attrapé aussi un premier acte du Rosenkavalier de Salzbourg où c’est Harry Kupfer lui-même, ci-devant trublion, qui revient à une vision plus classique, ressemblante des personnages et des lieux : avec de nouveau Sophie Koch en Quinquin et la confirmation souveraine d’une Maréchale : Krassimira Stoyanova.
Demain medici nous fera voir Fierrabras de Schubert qui atteint enfin Salzbourg, avec Michael Schade et Dorothea Röschmann, initialement projet Harnoncourt repris par Ingo Metzmacher, mis en scène par Peter Stein. Restons dans notre fauteuil. La nouvelle saison commencera bien assez tôt !
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