Le Barbier de Séville à l’Opéra-Bastille

 

 

De g. à dr. : Figaro, Almaviva ("Le Barbier de Séville" à l'Opéra de Paris) / © Bernard Contant (ONP)

De g. à dr. : Figaro, Rosine, Almaviva (“Le Barbier de Séville” à l’Opéra de Paris) / © Bernard Contant (ONP)

Notre Barbier façon Coline Serreau, avec Rigoletto façon Savary, a été un champion du service rendu. Malgré une installation assassine dans l’espace gigantesque (vu son niveau idéal, tant comique que sonore) de Bastille, son succès public ne s’est jamais démenti, quinze ans après, toujours un pactole de box office. Cela sous-entend qu’on doit grossir le trait, ne pas faire dans la dentelle ni scéniquement et vocalement, moins encore qu’on ne cherchera simplement pas à réaliser une utopie de Barbier, ni de recherche, ni  de luxe. Et ma foi, la nouvelle (pour l’Opéra) production de Damiano Michieletto importée de Genève fait assez exactement ce qu’on attend d’elle. Elle fait rire, avec des détails piquants que repèreront surtout ceux qui savent déjà leur Barbier. Faite pour plaire, elle plaira. Mais qu’on n’attende pas la Piccola Scola avec Strehler ou Salzbourg 72 avec Ponnelle/Abbado. En répertoire du moins, ça fera de l’usage. Ni Bastille ni plus généralement Paris n’est festival.

 

Rosine, Figaro (Barbier de Séville, Opéra de Paris) / © Bernard Contant (ONP)

Rosine, Figaro (“Le Barbier de Séville” à l’Opéra de Paris) / © Bernard Contant (ONP)

Premier mérite : le dispositif, certes sophistiqué au possible, mais qui garnit le plateau sur sa pleine largeur, et dont l’élément central se manœuvre de façon à montrer sur tous ses côtés l’immeuble, lieu de l’action avec ses intérieurs, ses escaliers et autres potes et dérobades, ouvrant mille possibilités de créer du mouvement scénique sur un plateau où le mouvement purement rossinien (la folie, le délire, le crescendo, l’accelerando) se trouverait perdu. Qu’à côté de cela il soit aussi décourageant de hideur qu’un quelconque alignement de façades où que ce soit au monde, en l’occurrence Séville de nos jours, ce n’est qu’un détail. Cette esthétique bande dessinée, on l ‘applique à tout, mais bon enfant comme elle est passe ici plutôt mieux. Elle joue le jeu. Nous aussi. Seul ennui, l’immeuble va tellement et tout le temps tourner que le spectateur aussi en attrape le tournis, et les chanteurs s’essoufflent à courir, grimper, redescendre, sans qu’un bénéfice scénique probant en soit tiré à tous les coups.

 

De g. à dr. : Rosine, Bartolo, Almaviva (© Bernard Contant (ONP)

De g. à dr. : Rosine, Bartolo, Almaviva (“Le Barbier de Séville” à l’Opéra de Paris) / © Bernard Contant (ONP)

On n’a pas cherché le raffinement musical et vocal, et à cet égard il faut bien dire que le chef Carlo Montamaro en rajoute dans l’insignifiance. Une Ouverture avec si peu d’étincelles, il fallait la trouver ! Quant au cast, on peut le féliciter en bloc pour son abnégation et son endurance en matière d’allées et venues, mais il est là pour nous entraîner, pas pour qu’on tende l’oreille et le savoure. Et le fait est que vocalement on aura peu à savourer. La solidité de basse d’Orlin Anastassov ne fait qu’une bouchée de Basile, certes ; mais le seul René Barbera, avec stridences çà et là, nous offre en Almaviva du timbre, du panache, de la projection, une véritable gaieté rossinienne : dans le chant un audible plaisir de chanter. Karine Deshayes est perdue dans cet espace, elle a beau faire bien tout ce qu’elle fait, (vocalises comprises et ce qu’il faut de mutinerie), peu passe jusqu’à nous. Le Bartolo de Carlo Lepore est correct mais ordinaire, jeu compris. Et il est permis de trouver le Figaro de Dalibor Jenis insupportablement m’as-tu-vu, Toreador largement plus que Barbier (di qualità par-dessus le marché !), maltraitant mots et valeurs avec une désinvolture qu’on s’étonne que le Maestro laisse passer. Si encore il avait la voix du Bon Dieu… Mais le principal de son panache est dans sa crinière. Mais on le répète, ce Barbier n’est pas pour les chipoteurs, il est grand public. Et certes on ne va pas bouder, sinon son propre plaisir, en tout cas le plaisir des autres.

 

De g. à dr. : Figaro, Almaviva, Rosine, Bartolo ("Le Barbier de Séville" à l'Opéra de Paris) / © Bernard Contant (ONP)

De g. à dr. : Figaro, Almaviva, Rosine, Bartolo (“Le Barbier de Séville” à l’Opéra de Paris) / © Bernard Contant (ONP)

 

 

Opéra-Bastille, 16 septembre 2014

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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