Castor et Pollux au Théâtre des Champs-Elysées

 

Dramatiquement, ce n’est pas le Rameau le mieux ficelé ; une longue, très longue part de l’action est dévolue aux ballets, simple remplissage : et on ne peut nier qu’ici, même sans doute très allégés, pourtant ils ne pèsent, répétitifs (et même bourratifs), reprenant quelle que soit la circonstance une gymnastique acrobatique bien et très bien faite, mais qui n’illustre rien, ne mène à rien. Chorégraphie ? Mais de secours alors (comme on dit pour une roue, une trousse, une issue). C’est d’ailleurs en cohérence avec le spectacle tout entier, qui renonce d’entrée de jeu à l’élément décoratif attendu (parce que c’est Rameau), et même royal (on est dans la parenté de Zeus, chez ses fils les Dioscures). Dispositif au contraire absolument et élégamment épuré (il est signé Rudy Sabounghi : référence), désencombrement total en scène, avec la (relative) stylisation des costumes, et celle (absolue) des masques et pectoraux (cuivre ou carton, très seyants en tout cas).  Lumières élégantes, avec ombres et contrejours pour l’Erèbe. Cette économie fait qu’on reçoit à nu, et dans sa plénitude, la musique.

 

"Castor et Pollux" au TCE (© Vincent Pontet)

“Castor et Pollux” au TCE : Pollux (Edwin Crossley-Mercer / © Vincent Pontet

 

Le Concert Spirituel fait entendre de belles masses, de beaux timbres : mais on ne peut s’empêcher de penser qu’Hervé Niquet prend ce qui est récitatif un peu vite, dès le début, comme si on devait s’en débarrasser. Le fait est que les interventions chorales (très superbe Chœur du Concert Spirituel) déploient une autre ampleur. Un peu moins les voix solistes, sans qu’on puisse vraiment le leur reprocher. Elles sont aussi bien qu’elles peuvent, mais Tristes apprêts (joyau pour tout un siècle, pour tout Versailles) demande une noblesse de son que ne peut y mettre Omo Bello (Télaïre), charmante, stylée, mais qui reste une pointure (de cothurne) au-dessous ; et ni John Tessier en Castor ni Edwin Crossley-Mercer en Pollux ni Reinoud van Mechelen (Mercure, l’Athlète) n’a de timbre pour imposer une identité, ou même un sentiment : mais du style seulement, de l’école. Seule Michèle Losier (Phoebé) a ce qu’il faut de couleur, de vibration (contrôlée), de poids purement vocal pour faire entendre la passion d’abord, et la merveille que Rameau a à nous dire. Hélas.

 

"Castor et Pollux" au TCE : Phoebé (Michèle Losier) / © Vincent Pontet

“Castor et Pollux” au TCE : Phoebé (Michèle Losier) / © Vincent Pontet

 

Aimer Rameau, vouloir l’incarner en scène demande plus de dépense. Pas décorative : Sabounghi nous montre qu’on n’en a pas besoin pour être élégant, luxe moins m’as-tu-vu mais meilleur. Mais la sonore et d’abord vocale.  On peut sacrifier les plumes et le panache, mais pas la noblesse. Ce chant se tient un cran plus haut ; il veut aussi que le ballet lui ressemble. Où est l’authenticité, sinon ? On a fêté Rameau jubilaire aussi bien que possible. Mais on ne l’a pas tout à fait entendu.

 

"Castor et Pollux" au TCE : Ballet des Enfers / © Vincent Pontet

“Castor et Pollux” au TCE : Ballet des Enfers / © Vincent Pontet

 

Théâtre des Champs-Elysées, le 19 octobre 2014

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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