Tricentenaire de l’Opéra-Comique

 

« Si l’Opéra-Comique nous était conté… » Bonne idée, car même ses clients les plus assidus d’aujourd’hui ne savent pas grand-chose des péripéties qu’a traversées ce très glorieux, et assez précaire, théâtre, qui a subi tant de fortunes et si souvent changé de cap. Sous-titre au gala du tricentenaire ; et formulation qui pourrait être de Sacha Guitry. On n’en est pas si loin d’ailleurs. L’ordonnateur du spectacle, du show plutôt, est Michel Fau en effet, le Sacha Guitry du Paris années 2010 et quelque, un Sacha Guitry qui se travestirait en Lana Marconi pour pimenter son déroulé scénique de meneur (ou meneuse) de revue. Est-ce à dire que l’avenir proche, le salut d’un théâtre toujours glorieux (merci, Jérôme Deschamps qui va le quitter sur une pirouette) mais toujours précaire et toujours menacé, passe nécessairement par la gaudriole ? Sans renouveler la prestation finale, numéro ajouté qui déshonorait son excellente mise en scène de Ciboulette ici-même,  Michel Fau de bout en bout du show travesti en Galli-Marié et dans le costume même de Carmen qu’elle a rendu célèbre, est largement meilleur quand il raconte que quand il chante. N’est pas Charpini qui veut, ça se mérite par un peu de travail sur la voix, et la façon de la parodier quand on aime la voix. Bémol. Dans une soirée où le chant, raison d’être de l’Opéra-Comique s’il doit longtemps vivre, est si magnifiquement honoré, et son histoire si bien contée (par Fau lui-même), ce numéro en Mélisande en nattes a tort de chercher à faire rire. Si c’est ce comique-là qu’il faut à cet Opéra-là, il peut vivre sans subvention.

 

Sandrine Buendia et Eléonore Pancrazi, Ronan Dubois et Vianney Guyonnet

Sandrine Buendia et Eléonore Pancrazi, Ronan Dubois et Vianney Guyonnet

 

Il fallait bien qu’on le dise. Et maintenant qu’on l’a dit, on remercie de tout cœur et sans réserve ceux qui nous ont donné cette soirée cordiale, bon enfant, instructive et musicalement impeccable, à commencer par le Pelléas et la Mélisande de la parodie, artisans en chef de la chose, Deschamps et Fau solidaires. Le plateau était de choix, et choisi parmi les fidèles du lieu.  Les Siècles, dirigés par François Xavier Roth, ont accompagné avec la plus prudente et remarquable transparence (et çà et là d’exquises sonorités instrumentales) des solistes qui prenaient des risques (changement rapide de costumes, départ à froid, tout ce que sur scène normalement on évite). Et Accentus leur apportait où il faut, et dans la Barcarolle collective en apothéose, un excellent appoint. Ce que la soirée offre de plus sympathique apparaissait d’entrée de jeu : Christian Hecq, parfaitement naturel et à sa place, lui, dans son travestissement, ses cabrioles et son entrain d’Arlequin, autre meneur de jeu. Et un quatuor de poulains de l’Académie de l’Opéra-Comique, délicieux jeunes chanteurs, sains, joliment sonores. Des voix avec des timbres, et qui ne poussent pas de l’air dans l’espoir d’en faire du son : tout ce que l’Opéra-Comique de ces dernières années a constamment essayé de nous montrer, la relève, les jeunes, beaux à voir, bons à entendre, employés selon leurs moyens. Citons ces jeunes héros : Sandrine Buendia et Eléonore Pancrazi, Ronan Dubois et Vianney Guyonnet, dans le quatuor des Traqueurs de Dauvergne (1753).

 

Sabine Devieilhe (Lakmé)

Sabine Devieilhe (Lakmé)

Très justement (et très fort) se sont fait applaudir deux jeunes, encore très jeunes, mais déjà stars, qui ont trouvé leur première grande chance ici-même. Julie Fuchs après son éblouissante Ciboulette a chanté avec charme, aplomb et virtuosité La Fille du Régiment, « Par le rang et par l’opulence » qui montre le caractère, et « Salut à la France » qui montre le panache. Sabine Devieilhe a fait mieux encore. Elle a démenti les craintes que nous formulions ici-même quand elle s’est révélée dans Lakmé. Toujours étincelante de virtuosité (et touchante de sensibilité, ce qui n’est pas la même chose), la voix s’est étoffée, a pris du corps, sa projection a moins à craindre d’un orchestre qui s’emballe, ou d’un partenaire chantant trop fort, son traitement des « Oiseaux dans la charmille » est sûrement ce qu’on a entendu de mieux sur cette scène dans cet emploi, non, on n’excepte personne : car l’avantage d’un timbre par lui-même ravissant, ça n’est pas rien. Et les cocottes, le trille, la façon d’amener en douceur et en feu d’artifice le suraigu à la fois comme fusée et comme perles, sont de grande haute école ! Etrange comme les Clochettes de Lakmé ensuite, si brillantes qu’elles soient, ont vieilli (plus que tout ce qui se chante d’autre dans Lakmé, d’ailleurs). Mais pourquoi craindre ce démodé ? Ici le public ronronne. Vincent Le Texier (un Grand Ancien, dans ce contexte d’espoirs) donnera ensuite, avec la désinvolture qu’il faut à Dapertutto, « Scintille, diamant », qu’on n’entend plus guère dans les Contes d’Hoffman tels qu’on nous les sert aujourd’hui. Et sa scène du souterrain de Pelléas avec Stéphane Degout montrera ce qui est essentiel à l’esprit de cette Maison, devenue autrement aventureuse sous Albert Carré directeur : l’autorité, le bien dire. Entre temps, la Maison aura créé Manon. Dans une formidable robe abat-jour et avec une perruque culottée comme elle seule peut savoir la porter, Patricia Petibon  enchaînait à un très brillant (et déjà mélancolique) Cours la Reine une Scène de Saint Sulpice simplement formidable. Avec l’excellent concours de Frédéric Antoun en Des Grieux, cette Manon s’incarne, du geste de la main, du mouvement de tout le corps, des inflexions les plus subtiles et les plus sensibles (sensuelles) d’une voix caméléon. Et revoilà l’opéra comique de grand papa, répertoire qu’on brocarde tant, et qui nous redonne, comme il est juste, le grand frisson lyrique ! Vive Massenet qu’on revoit et réentend vivant (et pas minaudé ou vrillé) ! Quelle Thaïs elle pourrait nous donner, celle-là !

 

Petibon, Antoun-446 (2)

Patricia Petibon & Frédéric Antoun

 

C’est grand mérite à Stéphane Degout de s’être fait en coulisse le Cyrano de Jérôme Deschamps travesti en Pelléas bonhomme : générosité collégiale dont il a été récompensé en nous délivrant ensuite la plus absolument exemplaire leçon et de texte français et de chant accompli dans la scène des souterrains et ensuite surtout Mârouf. Dans cette tessiture ténorisante, un si splendide exemple de baryton de texture mâle, timbré en plein métal, tenu par la ligne musicale la plus châtiée, depuis quelques années déjà on s’étonne que Degout puisse continuer ainsi, sans devenir un Golaud alors qu’il est devenu un fantastique Hamlet. Oui, le chant ne se porte pas si mal, de nos jours ; il démarre bien, chez presque tous ; mais qui ose résister aux sollicitations, et s’accomplir en restant strictement lui-même ? Sans doute le seul Degout. Chapeau !

La part vocale la plus ingrate était réservée à Anna Caterina Antonacci. Mais elle sait assumer ce qui est ingrat, pas payant, et difficile. Attaquer à froid « D’amour l’ardente flamme » (qui, à bien y regarder, est le seul moment musical et vocal sublime de la soirée) ; enfiler presto la robe de Galli-Marié pour nous donner la Habanera la plus discrète et mieux dite qui soit ; se retrouver en fin de soirée seule devant le rideau, comme à nu dans sa robe noire, avec pour tout partenaire, tout appui scénique, un téléphone, pour cette fin de Voix Humaine d’intonation, d’inflexion, de propreté suprêmes, quel challenge ; et que, certes, on n’applaudit pas comme on le fait des contre-mi et des cocottes. Mais à  quel autre niveau !

 

TRICENTENAIRE DE L'OPERA COMIQUE

Anna Caterina Antonacci

 

Avoir réussi à faire aller et alterner tous ces éléments contrastés et même contradictoires, c’était en effet nous conter l’histoire d’une maison bien singulière, irremplaçablement singulière. Pour les Fêtes elle nous rendra La Chauve souris, dans sa version française presque originale. Le 28 décembre Arte va faire revivre cette fête pour ceux qui n’y étaient pas, et les privilégiés du 13 novembre y regoûteront volontiers. Merci à tous et de tout cœur. Et que vive notre Opéra-Comique !

 

Opéra-Comique, 13 novembre 2014

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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