Patricia Petibon et compagnie à la Salle Pleyel

 

La stimulante, la réconfortante soirée ! Au rang en vue de Pleyel, celui d’habitude dévolu aux institutionnels et aux ayants-droit (plus éventuellement quelques people), on voyait cinq ou six gamin(e)s sages, aux anges évidemment —les familles sans aucun doute. Un show qui ne ressemble à rien qu’on ait récemment vu, aussi bon pour les enfants que les hors d’âge, et où les branchés (il y en avait) ne se sentent pas exclus, quelle rareté. Au fond cela s’appelle convivialité. Des gens de talent unissent leurs talents, élaborent le programme où ces talents éclateront le mieux, sans que l’un éclipse l’autre ; tous superpros, et qui ne marchent pas au génie, à l’improvisation, mais au détail, à la mise au point. Son monde, Patricia Petibon l’a réuni d’abord pour son CD de l’automne, « La Belle Excentrique », superbe essai mais que sa tournée d’octobre/novembre a transformé en quelque chose d’autrement gagnant : une alternance idéale entre les performances des uns et des autres, un show avec ses lumières, sa mise en espace signée Olivier Py et surtout, chose essentielle en public, son rythme. Cela même que Crespin aurait souhaité réaliser un jour autour d’elle meneuse de jeu et que Paris, les circonstances ne lui ont pas permis de faire.

(DR)

Patricia Petibon et Susan Manoff (DR)

Patricia Petibon est cet étrange et inclassable animal, superbe chanteuse lyrique, désormais sûre de ses forces, sûre de ses emplois, et bête de scène en plus. On n’a pas fait Lulu avec Py et Mozart avec Harnoncourt sans peser son poids propre. En répertoire chanté on la verra aussi bien côté Judy Garland (et pas seulement à cause du Rainbow : la bouille aussi) qu’Yvette Guilbert ou même Piaf. Elle a l’abattage, la verve, la drôlerie, la pointe mais aussi l’épaisseur de résonance, la vibration sensible, le côté légitimement populaire. Entre déhanchements et marginalités, voici du sérieux soudain, Les berceaux de Fauré ou Pêcheur de lune de Rosenthal. Cette alternance, jugée avec un tact parfait, est peut être ce qu’il ya de plus difficile : ne jamais faire trop. Elle mimera, dansera ce qui le permet ou l’appelle : des Chemins de l’amour qu’on n’a jamais vus chavirer ainsi, du corps, de la hanche, de l’inflexion (et quelle autre musique soudain, quand s’y joint le violoncelle enivré de Christian-Pierre La Marca !) ; ou bien, conjointement à Py, l’irrésistible fernandellerie du Tango Corse, qui nous transporte quasi dans Some like it hot. Satie est très au centre du programme, son Allons y Chochotte (inénarrable sketch avec Py) nous mettant carrément au cabaret, un cabaret comme il n’y en a plus. Mais Granada en fin de programme, avec violon de luxe (Nemanja Radulovic !), c’est du très beau chant tout simplement, vibrant, vivant. Un qui fait aimer le chant à ceux qui ne sont pas venus principalement pour ça, mais écoutent, épatés. De l’esprit dans tout cela, de l’opportunisme, des chapeaux farceurs, des trucs bricolés (des faux nez, oui, mais traités en instruments : ils permettent de nasiller), mais qui marchent. Etre aussi pro et si bien jouer le jeu amateur : il fallait le faire, et on a bien besoin que ça se fasse !

Reste à Patricia, désormais entre deux façons d’être rouquine, et à Py maître à danser et animateur en chef, à inventer plus loin ! On en redemande. Avec l’indispensable et omniprésente Susan Manoff au piano, les cordes de luxe qu’on a dites, le merveilleux David Venitucci à l’accordéon, plus David Levi acolyte au piano et François Verly aux percussions, un spectacle à la fois bon enfant et supérieurement sophistiqué (et au point jusque dans ses clins d’œil), qui devrait être remboursé par la Sécurité Sociale. Mezzo et France 3 devraient le diffuser bientôt. Ne le manquez pas !

 

Salle Pleyel, le 29 novembre 2014

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

Laisser un commentaire