La « Neuvième » et la « Fantaise chorale » de Beethoven à l’Opéra-Bastille

 

(DR)

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Pour conclure en beauté le cycle Beethoven entrepris en début de saison avec l’Orchestre de l’Opéra, Philippe Jordan a bien fait les choses. Il ouvrait la soirée avec la superbe Fantaisie Chorale, d’un plus jeune Beethoven, où l’on entend des ébauches ou pressentiments de ce qui sera un jour Ode à la Joie s’esquisser, s’articuler, s’affirmer, repris par l’orchestre dans un perpétuel travail de tissage et de métamorphose. Mais l’intérêt de cette Fantaisie ne s’en tient pas à ce travail d’annonce. Le piano y est longtemps roi, et roi unique, laissant entendre d’abord à nu, mais avec quelle décision, quel relief se suffisant à lui-même, ce qui est chez Beethoven exemple peut-être unique d’un pur travail créateur, d’une élaboration en quelque sorte radiographiée, et qui prend corps. Il n’y faut pas moins, pour vingt minutes de musique, que les colossaux, les titanesques moyens de la Neuvième à venir, les chœurs, les voix solistes et, à découvert la plupart du temps, l’impérial piano, tenu ici en premier plan du plateau par un Jean Yves Thibaudet souverain de sobriété, d’élégance et de frappe. C’est un grand luxe, mais une opportunité supérieure, quand les moyens en sont de toute façon réunis là, de montrer se succédant les deux états d’une même conception, de son départ en quelque sorte tout simplement pianoté, jusqu’à l’explosion finale, le cataclysme.

Günther Groissböck (DR)

Günther Groissböck (DR)

On ne saurait décrire cette Neuvième. Disons seulement par quel travail d’articulation et de précision à la fois titanesque et féerique les cordes, et au premier chef les premiers violons et violoncelles apportaient leur constante définition, leur constant tranchant à ce que Beethoven au début semble vouloir engloutir et ressasser dans la turbulence pure. Quel souffle, mais avec quel jarret, menait à se reprendre et se ressasser, toujours plus net et plus agile, ce Scherzo d’où il semble que tout un siècle de musique ensuite va résulter. Il n’y a pas à attendre dans le sublime Adagio de ces oscillations sur place qui donnent à des lectures à la Furtwängler leur flou extatique en effet ineffable. Avec Philippe Jordan, avec aussi l’inimaginable adhésion de ses instrumentistes, tout reste et restera tenu, serré, rigoureux, osons dire sévère ; ce qu’on y peut trouver de tendre, d’humain-trop-humain procède (et c’est assez) de la musique même, non d’une intention interprétative surajoutée. Quand l’énergie beethovénienne trouve pour s’y déployer de si augustes combinaisons sonores, le pathos y vient de lui-même. Précipitation ensuite. Presto. Une furie. Elle noierait le quatuor soliste où très solennellement, avec un ascendant vocal superbe, Günther Groissböck nous convoque, nous entraine ; les autres solistes, les chœurs suivent.

Comment cette masse musicale bientôt gigantesque, totale,  a empli la formidable conque du plateau de Bastille devenu espace pour le concert, préservant la finesse de chaque timbre (les violons toujours !) mais s’enflant aussi, jubilant jusqu’à faire éclater toutes parois, et presque nos oreilles, cela, pour l’imaginer, il faut l’avoir entendu. Or on l’entendra à nouveau, mais sans la Fantaisie, le 13 juillet. La Fête Nationale, ses démonstrations collectives d’unanimité, ses vrombissements de parade risquent de faire tiède figure comparés au modèle beethovénien de la Fête humaine et musicale,  à cette déferlante jubilatoire unique !

 

Opéra-Bastille, le 17 juin 2015

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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