Maria Stuarda de Donizetti au Théâtre des Champs-Elysées

 

Carmen Giannattasio (Elisabeth) & Francesco Demuro (Leicester) / © Vincent Pontet

Carmen Giannattasio (Elisabeth) & Francesco Demuro (Leicester) / © Vincent Pontet

La bonne surprise italienne que le Théâtre des Champs-Elysées ne nous avait pas donnée début mai avec Macbeth de Verdi, il nous la procure, inattendue, et au centuple, avec Maria Stuarda. Inattendue, parce que Paris n’a guère idée de l’œuvre que c’est, une des plus serrées, économes de Donizetti, désencombrée au maximum des servitudes (figurants, intrigues annexes, ensembles somptueux) qui plombent, scéniquement en tout cas, mais musicalement aussi, tant d’ouvrages de Donizetti qu’on finit par trouver interchangeables. Inattendue aussi, parce que ce qui fait la seule légende lyrique de cette Maria Stuarda c’est le conflit, l’affrontement, l’empoignade, osons dire le crêpage de chignons entre les deux reines cousines et rivales, Elizabeth et Marie Stuart, celle-ci née sur un trône et qui n’hésite pas à traiter l’autre d’ignoble bâtarde née d’une Boleyn. Dans les années 1960 et 70 quand Mmes Caballé ou Gencer d’un côté, Mme Verrett de l’autre, se lâchaient dans cette scène-là, ça faisait des étincelles. Mais Callas n’ayant touché à aucune de ces reines-là (bonne question pour le bac lyricomane : laquelle des deux eût elle-choisie ?), Maria Stuarda est restée aux yeux du petit monde lyrique cette merveille culte, mais marginale : un opéra pour Callas, dont Callas n’a pas voulu. C’est dire s’il y faut deux pointures vocales au moins, et de taille, et contrastant, étant entendu qu’une Callas pouvait chanter les deux, et que chacune exige de la voix le maximum de ses ressources, les belcantistes, et les mélodramatiques.

 

Carmen Giannattasio (Elisabeth) / © Vincent Pontet

Carmen Giannattasio (Elisabeth) / © Vincent Pontet

Ayant trouvé une telle paire, le moins est qu’on y ajoute un ténor, Leicester, amant possible pour l’une comme pour l’autre, et ténorisant en conséquence ; et une basse, Talbot, qui ne soit pas qu’une barbe. Difficulté de plus, la personnalité historique constamment affirmée (pour ne pas dire criante) des deux protagonistes ne permet pas qu’on leur fasse faire en scène n’importe quoi de symbolique, d’abstrait ou de décalé. La mise en scène voudra donc bien, contre la tendance, faire quand même un peu ressemblant, en se gardant d’ailleurs, dans le cas d’Elizabeth, de souligner les traits jusqu’à la caricature, qui n’est que trop facile (un DVD du Met peut vous montrer cela jusqu’à un point presque obscène de hideur voulue). Eh bien le TCE a réussi sur tous les tableaux, et cela nous vaut une soirée rare, vive, dramatiquement hardie, avec des instants de chant supérieur et rien qui, vocalement, se laisse retomber au banal ou au trivial. Illuminons ! Les bravos ont été en conséquence.

 

Aleksandra Kurzak (Maria Stuarda) / © Vincent Pontet

Aleksandra Kurzak (Maria Stuarda) / © Vincent Pontet

Ils s’adressaient d’abord à Carmen Giannattasio. Elizabeth règne sans partage sur le début de l’ouvrage. Voix hardie, aux stridences violentes et pas toujours maîtrisables, mais qui vont ici avec le caractère. La couleur de la voix, rouille (avec rugosités) plutôt qu’ambrée, appelle les éclats, mais s’ambre pourtant non sans délicatesse dans les moments d’intériorité plus réfléchie. MM. Leiser et Caurier, les metteurs en scène, n’ont pas empêché M. Cavalca de la costumer extrêmement bien, à paniers, vaisseau amiral qui est à lui seul l’Angleterre, ostentatoire sans surcharge ni caricature. Qu’on y ajoute la beauté du timbre, ses reflets à lumières, son cuivre, sa puissance de pénétration dans l’extrême aigu où les stridences semblent se concentrer en un effet fulminant ; et de très convenables ressources belcantistes en agilités et en ligne. Grandiose. D’emblée, ovation.

 

La prison : Carmen Giannattasio (Elisabeth), Francesco Demuro (Leicester), Aleksandra Kurzak (Maria Stuarda), Carlo Colombara (Talbot) & Sophie Pondjiclis (Anna) / © Vincent Pontet

La prison : Carmen Giannattasio (Elisabeth), Francesco Demuro (Leicester), Aleksandra Kurzak (Maria Stuarda), Carlo Colombara (Talbot) & Sophie Pondjiclis (Anna) / © Vincent Pontet

Marie Stuart aura du mal à s’affirmer juste après, d’autant qu’elle règnera, seule à son tour, dans toute la sublime fin du II. Aleksandra Kurzak a su idéalement suivre Donizetti dans le parti qu’il a pris de présenter l’infortunée Stuart d’abord dans sa toute simple élégie, enfant et se souvenant de l’enfance (ce qui donne lieu à des projections, souvenirs de jardins perdus, un peu puériles quand même). Mais là c’est l’opale et la transparence du timbre, ce sont des sons filés, c’est le génie de l’élégie lyrique à son plus pur, c’est une virtuosité de charme qui nous tirent plutôt vers Bellini et sa Somnambule qui établissent Kurzak à absolument même hauteur et avec même poids vocal que sa rivale, qu’elle démontre de tout autre manière. Splendide complémentarité, à laquelle Kurzak ajoutera les ressources de véhémence qui dramatisent sa projection dans le duo des Reines ; et le grand pathos lyrique, extatique, qui hausse aux sommets de la vocalité italienne romantique un opéra où stricto sensu pas une mélodie n’est en tant que telle mémorable, mais où l’esprit du chant le plus raffiné et économe qui soit chez Donizetti règne de bout en bout.

 

Carmen Giannattasio (Elisabeth) & Aleksandra Kurzak (Maria Stuarda)  / © Vincent Pontet

Francesco Demuro (Leicester), Carmen Giannattasio (Elisabeth) & Aleksandra Kurzak (Maria Stuarda) / © Vincent Pontet

Rien de mémorable non plus dans ce qu’a à chanter Francesco Demuro (Leicester), et il en a, pourtant ! Mais une facture grande marque toujours : et il va excellemment au bout. On remarque le timbre et un certain galbe chez Carlo Colombara (Talbot) et Sophie Pondjiclis (Anna) ; jusqu’au Chœur du TCE qui, sitôt ses marques trouvées, se comporte en ensemble à la fois vivant (dramatiquement) et sonore. Avec Daniele Callegari  l’Orchestre de chambre de Paris s’efface idéalement pour faire que les chanteurs chantent avec le plus de liberté et la meilleure respiration possible les choses difficiles et rares qu’ils ont à chanter. À marquer d’une pierre blanche.

 

Carmen Giannattasio (Elisabeth) & Aleksandra Kurzak (Maria Stuarda) / © Vincent Pontet

Francesco Demuro (Leicester), Carmen Giannattasio (Elisabeth) & Aleksandra Kurzak (Maria Stuarda) / © Vincent Pontet

Théâtre des Champs-Elysées, le 18 juin 2015

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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