Mithridate, roi du Pont au Théâtre des Champs-Elysées

“Mithridate” au Théâtre des Champs-Elysées (février 2016) : au centre, Xipharès / Myrtò Papatanasiu & Aspasie / Patricia Petibon (© Vincent Pontet)

Ce n’est probablement pas une saine idée de lever le rideau et laisser voir en scène le décor et des personnages pendant l’Ouverture. Par la force des choses ils ne font que s’agiter, sans du tout suggérer une action en cours. On occupe l’espace (et en l’occurrence, pas mal de temps). On ne fait que meubler. Il n’y a plus qu’à continuer.

"Mithridate" au Théâtre des Champs-Elysées (février 2016) / Le Concert d'Astrée - Emmanuelle Haïm (© Vincent Pontet)

“Mithridate” au Théâtre des Champs-Elysées (février 2016) / Le Concert d’Astrée – Emmanuelle Haïm (© Vincent Pontet)

Tout était déjà joué. On entendrait du Mozart, un Mozart première manière, pas abouti, répétitif, plein de formules, certes déjà Mozart reconnaissable à dix, à cent traits. Et supérieurement articulé, mis en place, avec timbres, par Emmanuelle Haïm et Le Concert d’Astrée. Et certainement les protagonistes continueraient d’occuper la scène avec l’aisance et même l’autorité que leur avait imprimées déjà Clément Hervieu-Léger, metteur en scène. À un détail près pourtant. Ne chantant pas encore, ces personnages ne se distinguaient en rien de comparses ajoutés à l’action et destinés à rester muets : d’où du fouillis déjà. On ne sait pas, on ne saura jamais, qui fait quoi, qui est qui. Le très beau dispositif d’Eric Ruf, tiers de théâtre délabré mais resté noble, les voit aller, venir, sauter, se rejoindre parfois pour un entretien de plus près. Il s’en fiche. On va commencer à s’en fiche aussi, faute de comprendre et, d’abord, de les identifier (les surtitres resteront illisibles faute de lumière, ça n’ajoutera pas à notre intelligence des choses). Deuxième imprudence de M. Hervieu-Léger : de tels personnages, nobles et emportés jusqu’à l’extravagance, à manières, silhouettes chantantes et à qui Mozart n’imprime pas encore par la vocalité, restée encore passe partout, l’identité expressive qui nous les désigne, ont bien besoin de leurs atours de théâtre. L’élégante banalisation qu’on nous propose ici (on pourrait se croire chez Ibsen ou, pourquoi pas, Labiche) empêche qu’on suive les conflits, qu’on saisisse des enjeux. Le principe même du théâtre est négligé. Un simple costume sur le dos, c’est plus utile que le théâtre dans le théâtre…

M. Hervieu-Léger fait très bien mouvoir ses acteurs/chanteurs. Il réussit même l’exploit de les faire aussi à l’aise dans leurs temps morts (ou silences), leurs récitatifs, et leurs airs à da capo. C’est un immense mérite, plus celui d’aimer si fort le genre ingrat qu’est l’opera seria. C’est à ce titre qu’on se permet de lui dire ceci : il n’est pas normal qu’un spectateur ayant déjà assisté à cinq ou six productions de Mithridate (on ne devait pas être beaucoup dans la salle) ne se repère en rien pendant tout son 1° acte, et la multiplication (gratuite) de figurants se mouvant sur scène comme s’ils avaient quelque chose d’essentiel à y faire n’aide vraiment pas.

"Mithridate" au Théâtre des Champs-Elysées (février 2016) : Aspasie (Patricia Petibon) & Mithridate (Michael Spyres) / © Vincent Pontet

“Mithridate” au Théâtre des Champs-Elysées (février 2016) : Aspasie (Patricia Petibon) & Mithridate (Michael Spyres) © Vincent Pontet

"Mithridate" au Théâtre des Champs-Elysées (février 2016) : Aspasie (Patricia Petibon) & Xipharès (Myrtò Papatanasiu) / © Vincent Pontet

“Mithridate” au Théâtre des Champs-Elysées (février 2016) : Aspasie (Patricia Petibon) & Xipharès (Myrtò Papatanasiu) © Vincent Pontet

Le tout premier talent des chanteurs ce soir est leur maîtrise du récitatif, rarement atteinte à pareil degré de qualité et d’expression, Patricia Petibon s’y montrant (là aussi) hors concours. Admirable travail collectif. Quant aux voix… Les demandes virtuoses expresses qui leur sont faites en agilités, en aigus et suraigus, en volubilité, interdisent d’espérer, tel que le chant mondial se porte aujourd’hui, des voix en outre expressives, voix à pâte, voix à tenue, voix à timbre. Chez tous, la virtuosité requise sera satisfaite, mais le plus souvent au prix d’un sensible déficit en timbre : voix brillantes, certes, mais voix légères. C’est assez miracle que satisfaisant à ces obligations, au moins Patricia Petibon (Aspasie) et Michael Spyres (Mithridate) nous offrent en outre une pâte de voix substantielle, capable d’effets de plasticité et de coloris. Les stupéfiantes qualités montrées par M. Spyres dans La Muette de Portici à l’Opéra-Comique naguère se sont étoffées, avec un usage subtil d’une sorte de falsetto appuyé qui garde de la couleur et ne perd pas en timbre. Quant à Patricia Petibon, elle gagne de l’autorité dans le chant pur, à ligne (la facilité scénique, elle, n’a jamais eu besoin de se confirmer), ses deux petites gammes piquées procurant en plus un pur délice gourmand de l’oreille qu’on n’avait pas depuis longtemps goûté. Ombre pallide, comme de juste, apporte au III° acte le moment de suspens émotionnel où se montre le Mozart de demain.

"Mithridate" au Théâtre des Champs-Elysées (février 2016) : Ismène (Sabine Devieilhe) & Mithridate (Michael Spyres) / © Vincent Pontet

“Mithridate” au Théâtre des Champs-Elysées (février 2016) : Ismène (Sabine Devieilhe) & Mithridate (Michael Spyres) © Vincent Pontet

"Mithridate" au Théâtre des Champs-Elysées (février 2016) : Aspasie (Patricia Petibon) & Xipharès (Myrtò Papatanasiu) / © Vincent Pontet

“Mithridate” au Théâtre des Champs-Elysées (février 2016) : Aspasie (Patricia Petibon) & Xipharès (Myrtò Papatanasiu) © Vincent Pontet

Sabine Devieilhe (Ismène) est le brio même, avec dans l’agilité volubile et l’allègement du suraigu des prouesses hors du commun. Elle y met tout le sentiment qu’elle peut, des nuances et même des effets de timbre sans arracher ce rôle à l’unidimensionnel, qui est son lot fatal. Il y a des moments très admirables, de tenue scénique, et vocale aussi, chez Myrtò Papatanasiu (Xipharès), elle est belle, la vocalisation est sûre sans être étincelante, le timbre est flatteur : mais l’endurance de ces terribles airs à da capo fait vite qu’il s’éraille, montre la trame, ne soit plus que beaucoup de souffle, avec un peu de métal dessus. Par contraste, Christophe Dumaux (Pharnace), sachant resserrer son timbre comme peu d’altos mâles y arrivent, oppose à son frère/rival un poids sonore plus immédiat, qui brillera à plein dans son air de remords, le plus lent et le plus plein d’âme. On attend beaucoup de Cyrille Dubois, certes : son Marcius n’a qu’un air, il se joue de ses virtuosités, mais non moins évidemment sa réserve de timbre s’y épuise. Il faut qu’il en garde pour son Belmont, bientôt. Parfaite, comme toujours, Jaël Azzaretti (Arbate).

"Mithridate" au Théâtre des Champs-Elysées (février 2016) : Pharnace (Christophe Dumaux) & Xipharès (Myrtò Papatanasiu) / © Vincent Pontet

“Mithridate” au Théâtre des Champs-Elysées (février 2016) : Pharnace (Christophe Dumaux) & Xipharès (Myrtò Papatanasiu) © Vincent Pontet

Théâtre des Champs-Elysées, le 16 février 2016

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genevieve

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