Un avis de grève n’a pas été suivi d’effet, mais Anja Harteros, attrait majeur d’une énième reprise de Rosenkavalier dans la production signée Herbert Wernicke (qu’il est permis de juger haïssable dans sa complaisance aux purs effets visuels, de machinerie, miroirs et autres, et son mépris des personnages, notamment la malheureuse Maréchale) a annulé sa participation : mauvais printemps pour elle, on l’attend et l’espère pour Tosca dès la reprise de saison, en septembre. On ne fera donc que saluer le travail simplement étincelant de Philippe Jordan avec l’orchestre. Que de progrès en qualité et fluidité pour l’orchestre, en maîtrise et tour de main pour lui, depuis son Rosenkavalier ici-même il y a bien dix ans, avec la sublime Maréchale d’Anne Schwanewilms !
Une annulation suivant une autre, Ludovic Tézier s’est trouvé heureusement disponible en dernière heure pour étrenner à Paris le Rigoletto qu’il vient de réussir triomphalement au Capitole. La couleur s’est affirmée, l’étoffe s’est amplifiée, la pâte de voix est somptueuse, on n’espérait pas de lui, si tôt, un Pari siamo dépouillé d’effets aussi saisissant. Quant aux duos belcantistes (avec Olga Peretyatko), ils sont d’une admirable tenue, d’expression et de style. Mille bravos !
Mais l’événement tout a fait inattendu, c’est l’Académie de l’Opéra qui l’a apporté, avec une des représentations de l’Orfeo de Monteverdi les plus vivantes, les plus cohérentes et les plus abouties qu’on ait vues. Des 500 places du merveilleux Amphithéâtre de Bastille une bonne part était ôtée au spectacle pour loger d’un côté l’orchestre (il n’y a pas de fosse ; de commodités scéniques, autant dire rien), de l’autre, quelques allées et venues.
L’orchestre, c’est Les Cris de Paris avec Geoffroy Jourdain à leur tête, et on doit les saluer très fort, eux si souvent à la peine et si rarement à l’honneur : les timbres, les finesses de plans et de contrastes, la conduite du discours, la respiration et la ponctuation, tout était un enchantement, avec une absence de sophistication qui est ici le naturel même. Ajoutons que la préparation musicale des chanteurs de l’Académie est exactement de même niveau, et suprême. Et c’est un régal, si maîtres de leurs intonations, de la langue, et de leurs mouvements, d’entendre leur Monteverdi exécuté avec tant de vie scénique et tant de bonheur de chanter. Du vrai gazon, car on est chez les bergers de Thrace ; et une vraie liberté, de tréteaux ou de préau (le soin minutieux du détail musical compensant l’à-peu-près allusif, forcé, de l’élément décoratif).
C’est une pure leçon de fraîcheur dont il faut remercier bien fort Julie Berès, metteur(e) en scène, qui ne cherche qu’à servir l’œuvre et la rendre viable sous nos yeux sans y rajouter du sens de son cru, de la doctrine, de l’interprétation ! Tous les chanteurs sont à féliciter, en bloc, et d’abord pour la préparation musicale, qui est exemplaire. On ne peut que mettre hors pair la Messagère, Emanuela Pascu, superbe jeune voix de mezzo avec timbre, avec ligne, avec sensibilité. Et dans le rôle assez écrasant d’Orfeo il faut saluer la fraîcheur, la simplicité, l’endurance de Tomasz Kumiega : son Orfeo est l’évidence même, phrasé avec un goût artiste très remarquable pour ses 25 ans. Réconfortante soirée, qui console de tant de sottes prétentions qui cesseront peut être enfin de faire la loi sur les scènes d’opéra !
Opéra-Bastille, le 11 mai 2016
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