
Anna (Myrtò Papatanasiu), Leporello (Robert Gleadow), Elvire (Julie Boulianne), Ottavio (Julien Behr) / © Vincent Pontet (TCE)
On avait manqué le superbe concert inaugural, Kyril Petrenko et Munich, plus Diana Damrau dans les Vier letzte Lieder, pour cause de Manon à Genève ; puis manqué aussi Cecilia Bartoli dans Norma, pour cause de santé. On n’allait pas laisser passer le premier trimestre de la saison sans retrouver le cher TCE. D’autant que du Don Giovanni de 2013 on avait gardé bon souvenir : une vraie action théâtrale, avec certes des bizarreries et des partis pris, mais une vraie leçon de théâtre donnée par un vrai professionnel, Stéphane Braunschweig, sûrement l’essai lyrique le plus abouti qu’on ait vu de lui. La saison lyrique 2016/7 serait-elle celle des très bonnes reprises ? Les nouveautés, Eliogabale, Samson, Cavalleria/Sancta Susanna à l’Opéra, Norma ici-même, soit à cause de l’œuvre, soit pour la façon de la présenter, n’auront pas puissamment marqué l’automne, laissant les salles pleines et mieux que contentes, enthousiastes, à Tosca, Lucia, Les Contes d’Hoffmann, enfin ce Don Giovanni-ci. Tant mieux. Le public n’a pas tant besoin d’innovation que de qualité (et de fidélité peut-être) ; et de mises en scène hardies certes, intelligentes si possible, mais qui ne se moquent pas de lui. Il est comblé avec ce Mozart majeur, si bien repris.

De g. à dr. au premier plan : Anna (Myrtò Papatanasiu) , Ottavio (Julien Behr) et Elvire (Julie Boulianne) masqués ; au centre Leporello (Robert Gleadow) / © Vincent Pontet (TCE)
De façon plus ostensible encore qu’en 2013 on y voit Leporello omniprésent, et absent pourtant, spectateur désemparé d’une action qui le dépasse (et sans doute désespère) bien plus qu’acteur. Le très prodigieux système coulissant, pivotant et escamotant que Braunschweig installe en scène, authentique architecture théâtrale (à la différence de la puérile démonstration de monumentalité dans la mise en scène de Handke à l’Opéra, rigoureusement non fonctionnelle) permet un glissement perpétuel et virtuose des mouvements, qui rend plus centrale encore l’apparition immobile de ce Leporello témoin partout où on ne l’attend pas. On a un peu peur en retrouvant dès l’Ouverture un lit d’hôpital. On sort d’en prendre, dans Iphigénie. Dieu merci, ce lit n’insiste pas trop (ni les infirmières vite troussées) et ne se multiplie pas, comme chez Warlikowski. S’il y a un détail qu’on retrouve sans grand plaisir, c’est la noce paysanne avec ses robes de mariées et ses gandins, qui resteront corps étranger dans l’ensemble du spectacle. L’escamotage, le tour de passe-passe ; l’illusionnisme bien géré : là sont des vertus majeures d’un spectacle pro qui joue avec les masques, et sait ne pas s’y perdre. La séance d’habillage, presto, prestissimo dans son timing scénique, du Séducteur pour le bal est à cet égard un petit bijou, qui fait oublier trop d’usages faciles d’un lit trop voyant (que Dieu merci on ne voit pas tout le temps).

Le Commandeur (Steven Humes) au sol, Anna (Myrtò Papatanasiu) , Ottavio (Julien Behr) / © Vincent Pontet (TCE)
Cette action qu’on suit dans sa continuité est aussi du fait de Jérémie Rhorer conduisant son Cercle de l’Harmonie. On ne peut pas dire qu’on soit fou de tous les timbres qu’on y entend mais les ensembles notamment connaissent cette fois le serré même, et le contrôle même, que demande l’action furieusement pressée du bal, par exemple, ou au contraire les contrepoids de couleur et d’accent qu’appellent les ensembles plus lyriques : dès le premier duo Anna/Ottavio et plus encore dans le quatuor Non ti fidar les timbres de voix s’apparient ou contrastent de la façon la plus suggestive.
Il faut dire que le cast, sans être d’or pur, est d’une qualité d’ensemble très enviable, si on songe que n’y figure aucune star avérée, mais qu’il fait appel à des habituels, et de nouveaux imports. Hors pair il faut sans doute mettre l’Anna de Myrtò Papatanasiu, déjà Sifare admiré dans un récent Mitridate ici-même, pour sa silhouette, le feu noir intérieur et les inépuisables la naturels comme des flammes qui sont si nécessaires à une Anna, et si rarement trouvés à ce degré.

De g. à dr. : Elvire (Julie Boulianne), Don Giovanni (Jean-Sébastien Bou), Ottavio (Julien Behr), Anna (Myrtò Papatanasiu) et à la fenêtre Leporello (Robert Gleadow) / © Vincent Pontet (TCE)
On fait connaissance volontiers avec l’Elvira acérée et tranchante de Julie Boulianne, avec la Zerline peut-être trop blonde (de voix) d’Anna Grevelius. Bel Ottavio, timbré et franc, de Julien Behr : quel plaisir de trouver, le lendemain même de Stanislas de Barbeyrac, un autre ténor de culture vocale française, de timbre non moins individuel, et de style ! Cela laisse la vedette, évidemment, aux deux protagonistes sinon jumeaux, du moins constamment complémentaires : et certes Braunschweig nous offre ici sa propre (et très intéressante) version à lui de la paire, ou du couple, maître/ serviteur. Leurs voix s’accordent, pleines ni l’une ni l’autre, ni grasses, à l’italienne, mais sveltes, faciles, agiles dans la volubilité (et y montrant leurs limites de tenue, l’un dans le Champagne, l’autre dans le Catalogue). Avec Steven Humes, parfait Commandeur, ils nous donnent trio de clefs de fa d’une rare qualité dès Ah soccorso, avec des entrecoupements et des contrastes parfaitement calculés.
L’aplomb scénique de Robert Gleadow fait merveille dans ce Leporello omniprésent mais si souvent effacé. L’agilité, le jarret (vocal aussi, si l’on peut dire) de Jean-Sébastien Bou ne sont pas moindres, dans un rôle à escamotages et virevoltes qui demande du sang-froid. Impossible de les départager.
Il ne manque pas de bizarreries et de surprises dans ce Don Giovanni. Mais il nous remet dans une vérité de dramma giocoso que la vision spectaculaire signée Peter Handke, qui a fait courir à l’Opéra un Paris qui ne vient pas forcément pour Mozart, recouvrait de facticité chic.
Théâtre des Champs-Elysées, le 7 décembre 2016
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