Récital Ludovic Tézier au Palais Garnier

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TézierReduit01Pour les Allemands aussi il y a une différence, mais d’instinct ou par environnement, d’emblée ils apprennent à la surmonter. Dans toute autre culture, il est presque impossible qu’un chanteur soit au même degré à l’aise, s’exprime aussi pleinement, dans le lied et dans l’opéra. Le problème du Français est un peu différent : la plénitude sonore absolue qui ne lui est évidemment pas demandée dans la mélodie n’est que rarement sollicitée en opéra. Ludovic Tézier serait-il à cet égard le plus italien des chanteurs français ? Le fait est que donner sa plénitude de timbre, de couleur et de vibration, sa pleine ampleur d’étoffe lui est pente naturelle, et bénie. En grand artisan, toujours, qui ne laisse voir le matériau que poli, verni, ambré, aussi lisse qu’il est possible (préoccupation où perce quelque chose comme un soin, lui, typiquement français). Et en artiste aussi, ce récital le démontre assez, qui l’oblige de toute façon, sans le support orchestral et dans des textes n’ayant pas à être projetés de manière sommaire et large, à raffiner par rapport à ses moyens naturels qui, s’il les laissait aller, iraient droit devant, comme un fleuve. On s’est trouvé au bord d’entendre cela, dans Ständchen de Schubert : et Thomas Mann aurait pu à ce moment exact observer, non sans une pointe de mélancolie ironique et amusée, combien la Nature, quand elle veut et ose la beauté qui lui est propre (ici soutenue par la mélodie, qui est un naturel de plus) l’emporte sur l’Art, qui impose à l’artiste des gênes si exquises. La chose certaine est que si dans sa moitié allemande de récital on a pu prendre Tézier pour un Italien aux voyelles franches et sonores qui met grand soin à ses consonnes, la partie française l’a montré somptueusement, royalement français. On ne se souvient pas d’avoir entendu d’un chanteur français pareilles diphtongues, des on, an, in, un donnés avec de telles richesse et vérité de sonorité, avec même une volupté dans l’authenticité du timbre qui fut en France la marque du seul Thill, d’un Thill qui l’a trop peu souvent fait valoir en mélodie ou lied. Dans Fauré, dans Duparc, Tézier nous a fait entendre un français chanté, où le soin jaloux de la voyelle, la souplesse de la consonne, et aussi le soin du mot (sans affectation pourtant) enrichissaient d’une splendeur d’art ce qui est déjà splendeur de nature.

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Ayant dit cela, on peut se permettre de chipoter. Quand il sera entièrement affranchi de sa partition, ses Schubert (déjà sûrement sus par cœur) lui viendront pleinement du dedans ; les yeux fermés leurs phrases se permettront un autre rubato, un léger frémissement sur place dans Meeresstille, déjà souverainement archet à la corde. Il fera moins attention à soigner ses consonnes et la liberté de la phrase n’en apparaîtra que mieux. Mais la splendide longueur de souffle dans In der Fremde, l’engagement diversifié d’Erlkönig et surtout le pur décollage, plein ciel, de Ständchen laissent en nous trace émerveillée.

Tézier réduit00Côté français. Enfin justice est rendue aux très beaux Don Quichotte de Jacques Ibert, écrits pour le film de Pabst avec Chaliapine, très injustement rejetés dans l’ombre par le triptyque signé Ravel. Au moins la Chanson de la mort de Don Quichotte y touche à d’autres altitudes. Sans chercher en rien à faire le Chaliapine, Tézier en a accepté et habité les tessitures extrêmes avec un culot vocal et une réussite également admirables. Exemplaires Baudelaire de Duparc : deux joyaux. Incomparable (osons le mot) réussite dans Les Berceaux, d’une longueur de ligne et d’un extrémisme de tessiture également périlleux, où c’est en plasticien très sûr de ses moyens que Tézier a osé, et tenu. On comprenait du coup qu’il n’ait pas choisi de conclure avec L’Horizon chimérique, qui s’y prête si bien. C’est qu’il est loin de son propre accomplissement artiste possible dans cette laconique et prodigieuse séquence. Déjà exceptionnel (de sonorité, d’élan, de sentiment), il n’y sera accompli que quand il s’y abandonnera corps et biens au rythme du flot, que le piano (l’excellente Thuy Anh Vuong) donne d’emblée, et maintient de bout en bout. Oubliant nuances et ralentissements. Les yeux fermés. « Ivre d’air et de sel/ Et bercé par l’écume… » Et ce sera miraculeux, comme parfaits sont déjà ses Berceaux. L’Ile inconnue n’ajoutait à ce merveilleux ensemble de départ et de mer que la fantaisie, propre à Berlioz, où on n’espérait pas qu’un baryton soutenu du seul piano puisse entrer avec tant de valeur ajoutée ! Secret de Fauré, Zueignung de Strauss et Romance à l’Etoile (d’ampleur d’étoffe simplement splendide) en bis. Et triomphe.

Palais Garnier, 15 janvier 2017

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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