Tout un premier acte on a pris le plus grand plaisir à cette Flûte. On la connaissait déjà, mais une reprise réussie, avec très fort cast, et dont on aura scéniquement resserré quelques boulons, ça ne se manque pas ! On savait que la production de Carsen (pas plus que celle de Claus Guth pour Lohengrin, mais pour des raisons tout autres) ne voulait pas du merveilleux. Elle est trop alignée et convenable, trop consensuelle sans doute. Il ne faut surtout pas que Monostatos soit noir, et il vaut mieux que Papageno soit une sorte de SDF, d’autant plus clochardisé à cette reprise par l’extraordinaire Michael Volle, un Sachs, un Wotan, qui lui donne une dimension à la Godot.
Adieu oiseaux et plumage, adieu coloris et bigarrures, adieu ce guignol qui est consubstantiel à La Flûte, au moins autant que ses références maçonniques, et qui faisait la joie des enfants. Tant pis pour eux. Nous autres adultes, qui n’avons pas besoin de rire à La Flûte, nous nous arrangerons. D’autant que les interprètes font avancer les choses très vite : les prouesses sportives de Tamino tombant, se relevant, sautant ne sont pas pour rien dans cette agilité. Donc pas de combat avec le serpent (on ne le verra que mort), pas de nacelle pour descendre la Reine de la Nuit, elle a les pieds très au sol, et est montrée très délibérément quelconque, pareille à ses Dames. Eh bien, on se contentera d’aimer cette Flûte pour ce qu’elle a en effet de meilleur : sa musique, ses personnages chantants. Et comme ils vont chanter !
Au II aussi ils vont chanter mais c’est là, regrettablement, que la mise en scène commence à se prendre douloureusement au sérieux. Excavations, échelles, hypogées et tombes, squelettes même (et la pauvre Papagena, qui semble sortir d’une danse macabre ! Elle, jamais on ne lui verra de plumes). Noir avec visages voilés pour les Prêtres, pour les Dames aussi. Cortèges noirs qui s’étirent, avec femmes (qui ne chantent pas) venant faire nombre dans les chœurs d’hommes qui sont une des beautés musicales de cette Flûte. Cela alourdit, ralentit, monumentalise. L’action ne va plus. Tant pis. Vanité finale de la mise en scène et de ses prétentions rénovatrices : notre doctrine ne sera pas davantage faite à la fin de cette Flûte quant aux rapports entre Sarastro et la Reine, ou plus généralement entre hommes et femmes, dont le spectateur, pour être franc, se fiche absolument. Ce qui est à coup sûr perdu, et pas pour les enfants seulement, c’est, une fois de plus, l’émerveillement.
Le nouveau chef, Henrik Nánási, nous fait entendre dans l’Ouverture des choses délicates, qui se révèlent, exquises. Bonne acquisition, d’autant qu’il aide ses chanteurs avec attention et discrétion. Eux sont formidables : René Pape évidemment, Sarastro de ligne et de profondeur, inimitable. La Reine, Albina Shagimuratova, de timbre agressif, au staccato implacable, lance ses fa en tout aplomb (elle alternera avec Sabine Devieilhe).
On a dit ce qu’a d’inhabituel le Papageno de Michael Volle. Il faut répéter qu’il est simplement grandiose, et chanté avec des allègements dont on ne croit pas une si grande voix capable. Florian Sempey alternera, avec un humour et une gentillesse plus attendus. Nadine Sierra, qu’on ne pouvait entièrement apprécier dans Eliogabale (et, précédemment, Zerline) éclate en Pamina : tendresse et grain du timbre, élégie et passion, l’héroïsme des frêles (comme veut Pamina), et un Ach ich fühl’s à tirer des larmes. La performance de Stanislas de Barbeyrac n’est pas moindre. Vif, franc de timbre, mettant de précieuses nuances vocales attendries dans le trio, de l’assurance héroïque où il faut (et il en faut), il nous offre un éventail complet des visages vocaux si divers que Tamino a à nous montrer, avec une tenue et un style qui apparaissent à plein dans les Epreuves, là où tout Tamino peut commencer à perdre souffle. Ce n’est pas un Mozart mignon et bien léché qu’il nous chante : mais mâle, vibrant, contrôlé. Le charme va sans dire. José van Dam apparaît en Porte-Parole, avec son phrasé toujours miraculeux !

Pamina (Nadine Sierra), Sarastro (René Pape) & la Reine (Albina Shagimuratova) / © Emilie Brouchon (OnP)
Opéra-Bastille le 23 janvier 2017
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