
“Fantasio” au Châtelet : Franck Leguérinel, en haut de l’escalier (Roi de Bavière) / © Pierre Grosbois (Opéra-Comique)
Le délicieux, le réconfortant spectacle ! Il faut en remercier Offenbach le premier, bien sûr. Est-il concevable qu’une partition si pleine d’une musique par elle-même exquise dans sa simplicité, son apparente nudité, ait été jugée trop lourde par le public d’époque ? Dieu merci qu’on nous l’ait donnée ici avec des pieds légers, ces pieds légers où Nietzsche voyait (en musique aussi) le signe du divin. Le Philharmonique de Radio France l’a jouée avec un soin extrême et un plaisir contagieux, dirigé de main de maître (de main de musicien, et qui aime le chant) par Laurent Campellone.

Marianne Crebassa (Fantasio) & au-dessus Marie-Eve Munger (Princesse Elsbeth) / © Pierre Grosbois (Opéra-Comique)
Pourtant s’il y a quelqu’un après Offenbach qu’il faut remercier le premier, c’est le metteur en scène, Thomas Jolly. Quoi ? Si jeune et si à la mode, pouvant tout se permettre, et choisissant, en vrai homme de spectacle, de jouer le jeu ? De servir l’œuvre ? Il l’avait fait dans Eliogabale en septembre dernier, mais ce Cavalli qui ne raconte pas d’histoire ne lui offrait pas d’occasion. Ici il se régale, et nous régale. Cela bouge et cela virevolte, tous les gestes sont justes et tous les mouvements, même fous, ont un sens. L’espace, la machinerie aussi, sont utilisés avec un tact professionnel et discrètement artiste à la fois. Et le sourire, la gentillesse, un esprit de blague règnent de bout en bout, mais d’une blague qui, scéniquement, ne se permet pas une seule dérive, un seul faux pas. Un critère ? À peine si on a entendu une seule fois ou deux venir de la salle un de ces désolants rires bêtes qui veulent dire que quelqu’un a trouvé qu’on lui en donnait une bien bonne, ah ah ah, comme à la télé. Avec le prétexte d’Offenbach on pouvait craindre le pire. Merci et bravo à Thomas Jolly !
Il faut dire qu’il dispose d’un cast de rêve où tout le monde a le physique de son rôle et où chacun habite son emploi, sa tessiture vocale aussi, avec à la fois facilité et charme.
Deux performances doivent évidemment être mises à part : Marianne Crebassa dans le rôle-titre, qui n’a rien à chanter d’extrêmement difficile, mais qui réussit tout avec un aplomb et un bonheur confondants. Silhouette, jeu, personnage, tout est merveilleusement dosé, jugé. Marie-Eve Munger en Princesse à marier a à chanter des choses beaucoup plus exposées, plus virtuoses, et le fait avec à la fois un chic et un charme (un fil de voix parfois, mais contrôlé) exceptionnels. Aux deux, bravo.

Marianne Crebassa (Fantasio) & Marie-Eve Munger (Princesse Elsbeth) / © Pierre Grosbois (Opéra-Comique)

Marianne Crebassa (Fantasio), Marie-Eve Munger (Elsbeth), Alix Le Saux (Flamel) et Franck Leguérinel (Roi de Bavière) en haut de l’escalier / © Pierre Grosbois (Opéra-Comique)
On n’ose traiter en comprimario Jean-Sébastien Bou, impayable dans la fatuité du Prince de Mantoue et ses déguisements : panache et punch, mordant vocal, il est sacré primo uomo, de plein droit. Et comme on est heureux de le voir échanger son statut et ses vêtements avec Loïc Félix (Marinoni) ! Celui-ci, on l’a si souvent vu épatant dans de simples pannes, ici il a un vrai air, idéalement offenbachien, et des duos avec son prince qui sont de véritables gemmes d’opérette. On a pu l’applaudir pour lui-même, enfin, comme il le mérite. Silhouette percutante et qui projette avec Philippe Estèphe (Sparck), simples esquisses, mais qu’on remarque, avec Enguerrand de Hys et Kévin Amiel, en facétieux, et combien mobiles (respectivement Facio et Max). Grande silhouette de ganache royale avec Franck Leguérinel (Roi de Bavière). Moment impayable de burlesque scénique et vocal avec Alix Le Saux (Flamel). Et le moindre choriste de l’Ensemble Aedes, outre le fait de bien chanter, se débrouille en scène comme poisson dans l’eau. C’est un régal, jubilatoire.
Rien de mélodiquement vraiment mémorable dans ce Fantasio où tout nous parle à la fois des Contes d’Hoffmann et de Musset, mais de la musique de bout en bout, et qui est d’un vrai Mozart des Champs-Élysées. Courez vous réjouir !
Châtelet, 12 février 2017
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