C’est un des tout meilleurs Don Giovanni de ces dernières années qu’on vient de voir à Versailles. Comme le très bon Figaro de la saison dernière, il provient de Drottningholm, où le cadre est prestigieusement royal, à même degré que Versailles, mais les contraintes, d’espace, de commodités, draconiennes.
Bénies contraintes. Elles ont obligé Antoine Fontaine, à qui l’on doit le dispositif/décor, à des prodiges d’ingéniosité : rideaux, décrochages de niveaux, petits escaliers, surtout cette miraculeuse échappée sous le plancher des tréteaux mêmes (on peut les appeler ainsi) qui suffit aux escamotages. Le peu d’espace latéral qui reste (on n’ose dire coulisses) laisse aux protagonistes leur part d’aparté. Beaucoup de cabrioles dans le spectacle ; un entrain, un engagement physique, pour le couple Maître/Serviteur essentiellement, un mouvement allègre en général, qui changent heureusement de tant de Don Giovanni scéniques empêtrés dans ces calamités de l’opéra XVIIIe tel qu’on nous l’assaisonne désormais : Sa Majesté le Sexe, et Leurs Majestés les Lumières. Notre Séducteur de ce soir est plus ludique que cela, Dieu merci : et avec son alter ego Leporello, quelle paire cela fait ! Il faut les voir au cimetière se roulant presque l’un dans l’autre dans leur rigolade. Rigolade ! Ah que c’est bon qu’ici personne ne cherche à se prendre plus au sérieux que cela ! Le dramma giocoso n’en demande pas davantage.
Très bonne forme pour les Musiciens du Louvre avec, sans doute, un peu beaucoup de contrebasse dans le continuo, où le pianoforte lui aussi, virtuose certes, en fait peut être un peu beaucoup. Mais on ne se plaindra pas de tant de juvénile allégresse. Ivan Alexandre fait beaucoup bondir ses personnages, et Marc Minkowski appelle de ses instrumentistes peut-être un peu plus d’énergie sonore qu’il est nécessaire. Mais le rythme, le mouvement d’ensemble de la représentation montrent à l’œuvre, de bout en bout, une véritable respiration collective. Et à quelques moments bénis, le souci du son s’abolit, et on a seulement cela : un chef musicien qui fait faire à tous de la musique. Merci, Mozart.
On joue la version de Prague, d’origine, plus légère. L’estimable Ottavio de Mr Trümpy fait qu’on ne regrette pas exagérément son Dalla sua pace : les vocalises d’Il mio tesoro font qu’on l’applaudit assez. On a mis des culottes à Marie-Adeline Henry et on l’a faite d’entrée de jeu criarde. Au II, au balcon, ayant un peu trop crié elle ne tiendra pas la ligne. Parfait personnage en scène, mais on ne regrette pas son Mi tradi, même au prix du récitatif In quali eccessi qui résume à lui seul l’action, la situation, les enjeux : le chef-d’œuvre en plein devenir. Ana Maria Labin (Donna Anna) a de la silhouette, du timbre, de la tenue scénique et vocale, le déluge de la naturels d’Or sai chi l’onore ne l’effraie pas, et il lui reste assez de ressources pour un Non mi dir ému, intense, de facture classique. Côté dames, c’est pourtant à Chiara Skerath qu’on doit les meilleurs moments vocaux de la soirée. Zerline, certes, est plus facile à chanter, mais le timbre s’est étoffé, la charmante voix a pris du corps, et c’est une Zerline voluptueusement musicienne qu’on a entendue. On en redemande ! On ne peut dissocier dans la louange Leporello et son maître. Très dissemblables de chant, et de personnalité aussi, pourtant ils se complètent et semblent faits l’un pour l’autre. Robert Gleadow se tire brillamment de son Catalogue, et on peut dire qu’il parle comme un libro stampato : les conquêtes du Séducteur lui sont écrites à même la peau et pour aller jusqu’aux mille et trois de l’Espagne il faudra qu’il nous montre un peu de son derrière. Impossible d’être davantage bon enfant, et de mieux tenir le public dans sa main.
Jean-Sébastien Bou est triomphalement Don Giovanni, dix fois plus à l’aise dans ce mouvement débridé que récemment dans le même rôle au TCE. On aimerait une mezza voce de meilleure pâte dans la Sérénade, mais ce n’est pas quelqu’un qui emporte le morceau par des joliesses vocales astucieusement dispensées. Avec lui il y a incarnation, de bout en bout, avec les plusieurs physionomies vocales dont il est capable. C’est mieux.
Un grand Mozart donné avec cette allégresse collective, et tenu jusqu’au bout, cela se fête.
Château de Versailles, 23 mars 2017
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