La Fille de neige de Rimski-Korsakov à l’Opéra-Bastille

Aida Garifullina (La Fille de neige), Thomas J Mayer (Mizguir), Vasily Gorshkov (Bakoula), Carole Wilson (Bonne femme) / © Elisa Haberer / OnP

Aida Garifullina (La Fille de neige), Thomas Johannes Mayer (Mizguir), Vasily Gorshkov (Bakula), Carole Wilson (Bonne femme) © Elisa Haberer (OnP)

Dmitri Tcherniakov fait profession (ostensiblement citée dans le programme) de ne pas trahir les œuvres qu’il aime. Il est assez haut situé dans la hiérarchie du métier pour ne mettre en scène que ce qu’il aime. Mais il a une façon un peu possessive d’aimer. Dès ses débuts à Garnier avec Eugène Onéguine, on l’a vu marquer profondément de son empreinte ce qu’il aime, au point d’en changer quelques données dramaturgiques essentielles : on n’est certes pas près d’oublier le poète Lenski et le grotesque Mr Triquet devenant une seule et même personne. De même Don Giovanni, les Carmélites etc.

Aida Garifullina (La Fille de neige), Thomas J Mayer (Mizguir), Vasily Gorshkov (Bakoula), Carole Wilson (Bonne femme) et au centre Martina Serafin (Koupava) / © Elisa Haberer / OnP

Aida Garifullina (La Fille de neige), Thomas Johannes Mayer (Mizguir), Vasily Gorshkov (Bakoula), Carole Wilson (Bonne femme) et au centre Martina Serafin (Kupava) / © Elisa Haberer (OnP)

L’opéra russe, largement ignoré de nous, trouve en lui un avocat passionné et les modifications, remises à l’esprit du jour, qu’il y apporte passent plus facilement : c’est surtout la générosité, générosité d’images, générosité d’âme qu’on y remarquera. Cette Fille de neige, si méconnue ici, il nous la magnifie, l’ouvre aux dimensions mêmes de la forêt et de la sainte nature, mais lui refuse quelque chose qui sans doute est périmé, mais lui est consubstantiel : une naïveté élégiaque et épique, une imagerie qui sont d’un autre âge certes —mais le livret et la trame aussi, qui datent du temps des contes ; et même la musique, merveille de joaillerie instrumentale, qui est par elle-même imagerie, et appelle des images en scène, tout autres que celles que Tcherniakov lui surimprime.

Aida Garifullina (La Fille de neige) / © Elisa Haberer (OnP)

Aida Garifullina (La Fille de neige) / © Elisa Haberer (OnP)

Dès avant l’Ouverture, à rideau ouvert, une clairière est là, avec de la jeunesse, du jeu, des tendresses ; toute une animation de figuration fabuleusement réglée, mais complètement hors-d’œuvre. Au Prologue, qui n’est qu’échange de discours entre le Père Gel et Madame Printemps, on ne cesse d’être sentencieux que le temps d’un hors-d’œuvre encore : un fabuleux ballet de gamins chanteurs et danseurs changés en toute une volée d’oiseaux. Féerique : et en plein accord avec la musique. N’empêche que le Prologue restera sentencieux échange de propos entre des allégories, d’ailleurs banalisées ; tout sauf des personnages. Tout sauf une action. La Fille de neige est une absolue merveille musicale, merveilleusement chantable, et dont le chant hante durablement l’oreille.

Aida Garifullina (La Fille de neige) / © Elisa Haberer (OnP)

Aida Garifullina (La Fille de neige) / © Elisa Haberer (OnP)

Et avec Mikhail Tatarnikov l’Orchestre de l’Opéra joue cela de façon effectivement féerique, avec des détails instrumentaux à découvert, ciselés, ineffables. Suit, en scène, autant de féerie qui se pourra, au village ou dans la forêt. Mais une action largement immobilisée par chants, refrains et danses, et où les personnages sont largement des allégories, ne réussira pas à devenir le grand voyage initiatique promis : l’innocence à la recherche de la chaleur qui lui manque, la passion qui réchauffe, et la mort qui s’ensuit comme fondent les neiges.

Aida Garifullina (La Fille de neige) / © Elisa Haberer (OnP)

Aida Garifullina (La Fille de neige) / © Elisa Haberer (OnP)

Le spectacle est pesamment long, plus de trois grandes heures de musique, sans ressorts vrais d’action (le folklore d’époque et les complicités qu’il produit étant par hypothèse mis hors jeu). La très jolie voix d’Aida Garifullina satisfait à toutes les demandes virtuoses, et élégiaques aussi, de la Fille de neige. Martina Serafin n’a pas de mal à apporter un autre poids de palpable passion et présence au personnage rival de Koupava, autrement incarné.

Elena Manistina (Fée Printemps), Aida Garifullina (La Fille de neige), Yuriy Mynenko (Lel) / © Elisa Haberer (OnP)

Elena Manistina (Dame Printemps), Aida Garifullina (La Fille de neige), Vladimir Ognovenko (Père Gel) / © Elisa Haberer (OnP)

Des allégories possibles de l’amour, le berger Lel (Yuriy Mynenko) reste bien raide, et le charmeur Mizguir (Thomas Johannes Mayer) bien sommaire. Dame Printemps était ce soir Elena Manistina : pas grand-chose de plus qu’une silhouette qui chante, avec beaucoup de blanc dessus.

Elena Manistina (Fée Printemps) et les oiseaux / © Elisa Haberer (OnP)

Elena Manistina (Dame Printemps) et les oiseaux / © Elisa Haberer (OnP)

Mais des chalets délicieux, des arbres inquiétants et magiques, tout un nocturne de forêt à couper le souffle. De purs spectaculaires moments scéniques, une figuration étourdissante, et une musique assez constamment exceptionnelle : il faut avoir vu cela, et la vidéo y pourvoira. D’action, point. Et à peine de conte…  Mais de la magie, sûrement. Et un maître magicien.

/ © Elisa Haberer (OnP)

Aida Garifullina (La Fille de neige) au centre / © Elisa Haberer (OnP)

Opéra-Bastille, 25 avril 2017

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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