Miranda d’après Purcell, à l’Opéra-Comique

"Miranda" d'après "La Tempête" de Henry Purcell. De dr. à g. : Marc Mauillon (Le Pasteur), Katerine Watson (Anna en robe noire et enceinte) / © Pierre Grosbois (Opéra-Comique)

“Miranda” d’après “La Tempête” de Henry Purcell. De dr. à g. : Marc Mauillon (Le Pasteur), puis Allan Clayton (Ferdinand) et Henry Waddington (Prospero) portant le cercueil, et à leur droite, au premier plan, Katerine Watson (Anna, en robe noire et enceinte) / © Pierre Grosbois (Opéra-Comique)

Il faut d’abord se réjouir, et très fort, que cette Miranda que Cordelia Lynn côté livret, Katie Mitchell côté scène et Raphael Pichon côté musique, ont assemblée et, exactement composée, d’après La Tempête de Shakespeare et sur des musiques oubliées et perdues de Purcell, ait commencé à l’Opéra-Comique une carrière qu’on espère universelle et durable.

"Miranda" d'après "La Tempête" de Henry Purcell. De dr. à g. : Kate Lyndsay (Miranda), au centre Henry Waddington (Prospero) et baissé devant lui Allan Clayton (Ferdinand) / © Pierre Grosbois (Opéra-Comique)

“Miranda” d’après “La Tempête” de Henry Purcell. De g. à dr. : Kate Lyndsey (Miranda), au centre Henry Waddington (Prospero) et à moitié baissé devant lui Allan Clayton (Ferdinand) / © Pierre Grosbois (Opéra-Comique)

On n’entend jamais assez de Purcell et l’entendre, dès la Fantasia qui tient lieu ici d’anti-ouverture, avec cette qualité de timbre, cette mélancolie bien élevée, cet ensemble, donne furieusement envie qu’on explore à fond le grand homme, qu’on nous le ressuscite un peu au-delà de Didon et Enée et des Odes festives. Quelle variété, mais sous laquelle s’identifie sans peine le même visage, humain, sensible, noble ! Purcell est un des très rares créateurs musiciens qu’on reconnaisse ainsi : à son timbre de voix. Et lorsqu’à ce timbre de voix (et cet art unique de le mettre en valeur dans le chant, d’une finesse et d’un galbe suprêmes) c’est Raphael Pichon et son ensemble Pygmalion qui prêtent leur attention amoureuse, l’abnégation et le fini de leur travail et leur beauté sonore pure, c’est à se mettre à genoux. On écouterait les yeux fermés.

"Miranda" d'après "La Tempête" de Henry Purcell. De dr. à g. : Kate Lyndsay (Miranda), Allan Clayton (Ferdinand), Katerine Watson (Anna), et devant elle Anthony / © Pierre Grosbois (Opéra-Comique)

“Miranda” d’après “La Tempête” de Henry Purcell. De g. à dr. : Kate Lyndsey (Miranda), Allan Clayton (Ferdinand), Katerine Watson (Anna) et devant elle Anthony / © Pierre Grosbois (Opéra-Comique)

Il faut bien dire que la prestation des deux Misses, Cordelia Lynn et Katie Mitchell, est plus aventureuse. Le livret de l’une (ce qui se passe après La Tempête ; avec quelques mises en cause), la mise en scène de l’autre (une église, des bancs, des funérailles : un jeu de la vérité devant un catafalque), sont également arbitraires. Nous montrer les protagonistes de La Tempête là où Shakespeare les a laissés en leur gardant leurs noms, cela ne suffit hélas pas à les constituer en des personnages, avec un ton, un timbre, un devenir propre et, résultant de leur confrontation (et querelle), en scène, une action. La facticité littéraire de l’exercice est totale. Pourtant, avec la complicité d’une mise en scène qui fournit l’unité de lieu (celle-ci fût-elle vide), il procure une sorte de serré, une inévitabilité, que la mise en scène impose et illustre avec ses mouvements excessivement élégants et fluides. Triomphe de l’art pour l’art : à moins d’avoir lu d’abord le copieux (et remarquable) programme, le spectateur se laissera prendre et emporter dans cette inévitabilité sans du tout comprendre (ni se demander) qui est qui, qui fait quoi et pourquoi. La musique (qui pourtant, par hypothèse, n’a rien à voir avec l’action qu’elle illustre) suffit. Tant Purcell est reconnaissable, et éloquent. Ajouterai-je que les photos de scène très étudiées, et qui rendent compte de la méticulosité selon laquelle se groupent les personnages et figurants, donnent du spectacle une idée éclairée qui n’est guère ce qu’on ressent de la salle : mais un crépuscule gris perle ou mordoré, où les silhouettes en scène perdent encore de leur individualité et identité. Très bel exercice plastique, et un peu vain. Masquée ou travestie ou en mariée ou revolver en main, Miranda n’émerge pas d’ici comme un personnage qui impose l’évidence de la vie et ses ressorts passionnels. Ni davantage Prospero, le Pasteur, ni aucun comparse, sauf l’enfant blond qui, par son air d’enfance et son timbre de voix, impose une différence.

"Miranda" d'après "La Tempête" de Henry Purcell. Scène du viol de Miranda : de g. à dr. : Double de Miranda, au centre Henry Waddington (Prospero) et Allan Clayton (Ferdinand), puis Kate Lyndsay (Miranda) / © Pierre Grosbois (Opéra-Comique)

“Miranda” d’après “La Tempête” de Henry Purcell. Scène du viol de Miranda : au centre Allan Clayton (Ferdinand) et Henry Waddington (Prospero), puis Kate Lyndsey (Miranda) / © Pierre Grosbois (Opéra-Comique)

Il faudrait citer tout le monde tant tous se fondent dans l’ensemble chantant musical que Pichon équilibre avec un tact de sorcier. Fondu et contraste des timbres, musique de chambre en scène, et au plus haut niveau possible : c’est une très magique alchimie, dont la continuité et l’impact doivent beaucoup, répétons-le, au fait qu’on a voulu et su faire de cette Miranda une réalité scénique. Les voix solistes y disparaissent, comme les lumières de scène font disparaître les identités. On mettra hors pair les exécutions vocales solistes splendides de Kate Lindsey (Miranda), et Katharine Watson (Anna). Mais tous doivent tout à Purcell l’insondable ; et à Raphael Pichon, maître d’œuvre musical, qui est allé chercher ces merveilles au fond de l’oubli et, avec Miguel Henry, en a arrangé la séquence pour la scène.

"Miranda" d'après "La Tempête" de Henry Purcell. Scène du viol de Miranda : de g. à dr. : Double de Miranda, au centre Henry Waddington (Prospero) et Allan Clayton (Ferdinand), puis Kate Lyndsay (Miranda) / © Pierre Grosbois (Opéra-Comique)

“Miranda” d’après “La Tempête” de Henry Purcell. De g. à dr. : Marc Mauillon (Le Pasteur), Henry Waddington (Prospero) et Katerine Watson (Anna) / © Pierre Grosbois (Opéra-Comique)

Arte Concert vous montrera cela en direct ce 29 septembre. Avec mode d’emploi, on espère. N’y manquez pas. Mais vous avez jusqu’au 5 octobre pour voir Miranda en salle.

"Miranda" d'après "La Tempête" de Henry Purcell. De g. à dr. : Kate Lindsey (Miranda) devant Henry Waddington (Prospero) et Allan Clayton (Ferdinand) / © Pierre Grosbois (Opéra-Comique)

“Miranda” d’après “La Tempête” de Henry Purcell. De g. à dr. : Kate Lindsey (Miranda) devant Henry Waddington (Prospero) et Allan Clayton (Ferdinand) / © Pierre Grosbois (Opéra-Comique)

 

Opéra-Comique, le 25 septembre 2017

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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