Un nouveau Parsifal à l’Opéra-Bastille

02 Amfortas (Peter Mattei) au centre (Parsifal 2018 / © Emilie Brouchon - OnP

Amfortas (Peter Mattei) penché, au centre / “Parsifal”, 05.2018 (© Emilie Brouchon – OnP)

Il y avait attente. Chef-d’œuvre absolu ou pas, Parsifal en tout cas est culte. Il traîne toujours autour les vapeurs d’encens qui s’y accrochaient depuis l’exclusivité farouche, voulue par Wagner et entretenue par Cosima veuve, que s’en était réservée Bayreuth. Il n’y a plus de wagnériens eux-mêmes exclusifs et farouches, sachant et entendant tout de Wagner et fermés, comme étanches, à tout le reste. L’iconoclastie décorative, le dépouillement introduits par Wieland Wagner, propre petit-fils de Richard, dès la réouverture de Bayreuth en 1951, choquaient ces ultras, encore la grande majorité à l’époque. Chéreau en 1976, pour le centenaire du Ring, donnait le coup de grâce : il tuait ce qui restait d’un wagnérisme convenu, qui méritait largement ce trépas.

Kundry (Anja Kampe) / Parsifal 2018 (© Emilie Brouchon - OnP)

Kundry (Anja Kampe) / “Parsifal”, 05.2018 (© Emilie Brouchon – OnP)

L’imagerie d’apparence et de sens chrétiens indissociable des cérémonies du Graal, qui prennent assez de la longueur de Parsifal, a toujours été intellectuellement détestable, source d’odieux malentendus quant à ce que veut dire Parsifal, sa validité, son sens. Mais enfin elle lui est organiquement attachée. Parsifal qui déjà, avec elle, n’a pas beaucoup de sens, sans elle devient pure absurdité. Personnages dessaisis de leur fonction, et même de leur rituel ; aucun sentiment d’un destin personnel qui s’attache à aucun d’entre eux.

Kundry (Anja Kampe) / Parsifal 2018 (© Emilie Brouchon - OnP)

Kundry (Anja Kampe) & Klingsor (Evgeny Nikitin) / “Parsifal”, 05.2018 (© Emilie Brouchon – OnP)

Dans cet ouvrage où, en y mettant le temps certes, mais de façon forte et bouleversante, il arrive quelques chose aux protagonistes, d’où ces derniers sortent transformés, la scène de Bastille ne nous a rien montré, cinq grandes heures durant, qui fasse enjeu ; qui visiblement crée en eux tension, vibration, musique dramatique. Ils sont là, réduits à une identité physique soulignée pour le seul Parsifal par le fait qu’il soit si physiquement gaillard, et à jambes nues, de bûcheron. Les autres paraissent et disparaissent. Le metteur en scène Richard Jones semble les avoir abandonnés à leur stature quelconque, et à des situations quelconques. Il pense avoir assez fait en se faisant payer le colossal dispositif où tout tient à volonté, d’un coup de glissade : bibliothèque/cuisine, salle de soins, prairie du Graal, lieu de culte etc etc. Dispositif dont ni Parsifal ni nous autres, cobayes de cette expérimentation, n’avons rien à faire. M. Jones se donne beaucoup de mal pour faire bouger le personnage absent qu’est Titurel, ici infirme et porté dans les bras comme un bébé recroquevillé, et nous faire croire que c’est lui qui chante bien là, et pas une voix quelque part dans une cloison. Broutille. Gag, ça ils savent faire, et quand ils l’ont fait, on espère qu’ils sont contents d’eux-mêmes. La première longuement retardée, les auteurs du spectacle n’étaient pas là pour recueillir leur part de bravos lors de la représentation dimanche après midi, qui devenait du coup la première. Ils y auraient entendu quelques cris d’animaux bien sentis qu’ils ne l’auraient pas volé.

Parsifal (Andreas Schager), Gurnemanz (Günther Groissböck), Kundry (Anja Kampe) / Parsifal 2018 (© Emilie Brouchon - OnP)

Baptême : Parsifal (Andreas Schager), Gurnemanz (Günther Groissböck), Kundry (Anja Kampe) / “Parsifal”, 05.2018 (© Emilie Brouchon – OnP)

Car quel dommage ! Pratiquement tout le reste concourt à nous donner un Parsifal exemplaire. S’agissant de l’orchestre et des chœurs de l’Opéra, cela va presque sans dire, avec un bravo spécial pour les dames invisibles. Outre la tenue d’ensemble et la splendide continuité de l’exécution orchestrale, Philippe Jordan a procuré une attention à ses chanteurs, une façon de leur souffler la phrase, et même le timbre à y mettre, qui sont d’un éminent wagnérien, et éminent musicien. La couleur chaleureuse (sans ostentation d’ailleurs), la chair accordées à la scène de séduction Kundry/Parsifal est carrément mémorable, esquives, non dits, soupir des instruments : authentique moment de Stimmung à l’allemande. Quant à la célèbre (et sublime) Tristesse du Graal, au début du III, elle trouvait des opales et des dégradés de vibration, comme une blancheur du noir (ou noirceur du blanc), suggérée génialement par Wagner, que dément, hélas, la pauvreté banale du décor, le même qu’au I, et aussi arbitraire que morose, tout sauf prairie et printemps qui commence. C’est grand mérite aux chanteurs d’avoir sauvé ce moment du tristounet.

Baptême : Parsifal (Andreas Schager) & Kundry (Anja Kampe) / Parsifal 2018 (© Emilie Brouchon - OnP)

Baptême : Parsifal (Andreas Schager) & Kundry (Anja Kampe) / “Parsifal”, 05.2018 (© Emilie Brouchon – OnP)

Ils sont splendides, tous. Mais Anja Kampe (Kundry) par sa diversité vivante de coloris, et ses souplesses de voix (plafonnant quand même un rien là où toutes plafonnent, et souvent s’étranglent. Pas elle), vole très haut au-dessus du lot, ne serait-ce que par la difficulté de ce qu’elle a à faire et l’élégance, le bien dire suggestif qui ne manquent jamais. Transcendant aussi Peter Mattei en Amfortas, comme de juste ; plénitude de la voix, et de l’incarnation. On voudrait en dire autant de Günther Groissböck en Gurnemanz, parfait de stature, de tenue et de bien dire, mais à qui la maigreur naturelle de sa très bonne voix interdit à ses récits, et même à son Enchantement du Vendredi Saint, le mémorable qu’y apportent des voix plus grasses. Klingsor (Evgeny Nikitin) assez indifférent. Exceptionnelles Filles Fleurs, apparitions parfaites, corolles et lianes à la fois, dans le décor le plus réalisé et le plus plein de sens (et de vues) qui puisse se faire de cette scène habituellement impossible. Andreas Schager (Parsifal) dispose d’une colossale voix de ténor, cuivrée de teinte, et de texture sombre, soutenue par un souffle puissant et bien conduit. Il est encore capable de chanter piano, ou d’essayer piano, sur les moments qui le demandent. Un artiste et une vraie voix. Qu’il veille à ne pas la donner avec tant de générosité. Il l’égosillerait vite, il y en a des signes.

Gurnemanz (Günther Groissböck), Parsifal (Andreas Schager), Kundry (Anja-Kampe) / "Parsifal" 2018 (© Emilie Brouchon - OnP)

Gurnemanz (Günther Groissböck), Parsifal (Andreas Schager), Kundry (Anja-Kampe) / “Parsifal”, 05. 2018 (© Emilie Brouchon – OnP)

Superbe cast, oui, pour de superbes chœurs, et un orchestre surnaturel de beauté. Rien dans la production ne rejoint ce niveau de qualité, cette élévation, cette exception, dont elle semble se ficher.

Amfortas (Peter Mattei) / "Parsifal" 2018 (© Emilie Brouchon - OnP)

Amfortas (Peter Mattei) / “Parsifal”, 05. 2018 (© Emilie Brouchon – OnP)

Opéra Bastille, 13 mai 2018

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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