Bach, à l’église

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Le bien que cela fait à Bach, à ses Cantates surtout, de se retrouver à l’église, qui est en somme leur lieu naturel ! Église n’est pas temple, certes : mais c’est Kirchenmusik quand même, les différences de rite disparaissent, et jusqu’à la disparité des langues. Avec quelques jours d’avance, ce doit être le don de Pentecôte, celui du Paraclet, appelé Consolateur. C’est lui sans le nommer qui était le parrain de cette soirée musicale, la septième et dernière du parcours en Bach que nous ont offert depuis octobre Raphael Pichon et l’Ensemble Pygmalion. Latin, allemand, qu’importe. Nous sommes réunis en un même lieu, et vibrons, vivons, d’une seule et même écoute, d’une seule âme. Les différences individuelles, les animosités s’effacent. L’Esprit parle, et l’Esprit réunit.

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Merci à la circonstance qui a permis le rempli de ce dernier concert, prévu à la Cité de la Musique, en l’église Saint Jacques et Saint Christophe, assez proche, et de capacité assez grande, pour abriter ce repli en masse de Pygmalion, de la technique et de l’éclairagiste sans lesquels l’enregistrement eût été impossible. Tour de force technique et humain qu’on salue très bas. Cela s’est passé sans cris, ni excessive presse, la soirée ayant été retardée jusqu’à 21 heures et tout le monde prévenu, et même arrivé en avance, le placement pouvant être impossible à organiser ; et tous voulaient être le plus près possible, participer, toucher du doigt… Des fidèles, évidemment. Il est beau à Pygmalion d’avoir rassemblé une telle masse de suiveurs, attentifs, motivés et même, miracle de saison frisquette, ne toussant pas. Ce qu’on leur offrait était, il est vrai, sublime.

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Mais pas tellement plus sublime, soyons juste, qu’en deux ou trois des autres occasions où nous eûmes à explorer ensemble le génie de Bach dans ses Cantates. Avec ni l’Actus Tragicus ni la Saint Jean on n’était moins haut. Mais le lieu ! Le lieu a joué. Cette église n’est pas belle et ne cherche pas à l’être. Mais elle a ses distances, et tient ses distances. Elle a sa coupole, sa profondeur, son air à elle et comme une noblesse naturelle. Le public déjà assis ne bavarde pas, semble d’avance recueilli, n’a pas à la main une bouteille de coca ou une flûte de médiocre champagne. Il se tait et attend. Il veut bien. Il a le temps, l’a donné d’avance, les yeux fermés, et n’essaye pas d’en rattraper des miettes en consultant son portable. Retour à quelques sources. Merci, Saints Jacques et Christophe. La merveille est que l’acoustique, si sacrifiée le plus souvent dans les églises, n’a pas paru inférieure à celle de la Cité de la Musique.

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On continue de détester avec la même franchise les options qu’avec la même et décisive franchise Raphael Pichon a déclarées de façon liminaire : que d’autres formes et expressions d’art seraient associées à son parcours Bach, ne serait-ce qu’aux fins de montrer Bach ouvert, tolérant, universel. S’y est greffé le goût de faire découvrir du peu connu et sublime, écrit tout à fait dans le sillage ou dans l’annonce de Bach. Les résultats ont été variables. Tournons cette page. C’est Mlle Anne Alonso dont les capacités de lecture, le bien dire (le timbre de voix, si timbre il y a) se trouvaient associés cette fois à la célébration de Bach, et d’un Bach qui n’est pas dans ses plus petits souliers : la Cantate BWV 82 « Ich habe genug », celle du vieillard Siméon dans son Nunc dimittis, Domine, une des plus justement connues, pour basse seule, chantée par Stéphane Degout avec une autorité à la fois suprême et humble, au service des mots et de la vocalisation, dans son cas également transcendants. On ne reprochera pas à Pichon les interpolations rajoutées à Ich habe genug avant son troisième air. Elles y consonaient absolument, d’esprit et, presque, de ton. Welt, Gute Nacht, adieu le monde. Lucile Richardot y a été parfaite, comme toujours. Bach n’appelle pas cela, mais le tolère. Il est assez grand pour cela. Et il n’y a pas en l’occurrence, comme avec la Saint Jean, interruption d’un fil dramatique conducteur, dans une œuvre qui est essentiellement récit, continuité, suffisance à soi, avec effets d’accumulation (d’émotion, de sens). Mais ce sont les textes énoncés qui ce soir faisaient anti-climax. On a le plus grand respect pour Philippe Jaccottet, haut et noble poète, discret. À côté de Bach et se glissant entre Bach et Bach il ne fait simplement pas le poids. D’Aubigné le ferait, ou Claudel, ou Simone Weil. Et Bach de toute façon suffit. On avait peine pour la sympathique artiste, réduite ici à l’état de mauviette. Elle parlait pour son micro. Elle sera mieux dans la captation télé.

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Tout le reste est eau pure. D’abord Es ist genug, de thématique toute proche, splendide page moderne de Sven David Sandström où Pygmalion s’est fait entendre à gorge déployée, dans les plus périlleux mixages d’intonation qui soient. L’air interpolé à Ich habe genug, qui réussissait à n’en pas rompre l’esprit, et le très souverain charme (Lucile Richardot réussissant en outre à ne pas pâlir à côté de Stéphane Degout comme Jaccottet, surtout ainsi projeté, pâlit devant Bach). On a entendu dans la BWV 21, Ich hätte viel Bekümmernis, qui pourvoyait à la fin de soirée, un très épatant ténor avec timbre, Robin Tritschler, exempt de toute afféterie mièvre, se jouer des deux airs également redoutables dont au moins un, qui évoque Bäche (des ruisseaux) et si souvent s’endort dans la répétition et la fadeur. Un ténor sonore juste ce qu’il faut, et sain. La soprano, Robin Johannsen, est petite mais suffit à son divin Seufzer, Thränen initial. Mais l’angélique duetto, incomparable dans sa simplicité et sa sincérité, entre l’âme et Jésus (ici Degout, toujours aussi merveilleux) la trouve nimbée d’une grâce modeste qui est celle d’une vierge à l’Annonciation, et est tout Bach. Les intrications virtuoses des chœurs inouïs (même en termes de Bach) qu’on entend ensuite, les trompettes qui en toute fin disent la gloire, tout cela s’oubliait presque dans la suavité sans fadeur de ce duetto, si ras de terre en apparence, si élevé pourtant. Il y soufflait, ah oui, l’Esprit qui est dit le Consolateur, le Paraclet. Une église, il n’en fallait pas moins pour cela. Et un Pichon, pour nous le donner, nous le dispenser avec une telle âme.

Intégralité de la soirée disponible sur le site Culturebox

Église Saint Jacques et Saint Christophe de La Villette, le 14 mai 2018

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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