Il y a eu aussi un programme Bach mené par David Fray avec les concertos pour deux, trois, quatre pianos. Revigorant ! Mais on parlera du phénomène Fray dans la suite de son projet Bach au Théâtre des Champs-Elysées quand il affrontera seul les Variations Goldberg. La fête absolue de cet automne, ce furent les deux récitals de musique et de piano, purissimes, donnés par deux maîtres du moment, peut-être bien les meilleurs dans leur génération respective, Elisabeth Leonskaya, la lionne, et Leif Öve Andsnes, qui est l’Olympe même transféré en Norvège, le calme, l’autorité, la maîtrise incarnées. Sans parler de la musique !
Elisabeth Leonskaya annonçait Schubert, une sonate du début, la Wandererfantasie et la si bémol D. 960. Elle y intercalera, sans prévenir, Schoenberg et Webern, obtenant ainsi des contrastes et des complémentarités remarquables, et faisant entendre la Seconde Ecole de Vienne à un public qui ne serait sans doute pas venue pour elle, mais qui l’ a acceptée, et aimée, dans les mains d’une telle déesse du piano. Contrôle royal des bizarreries fantasques de la mi majeur, dans la Wanderer puissance fulminante, déchaînée, laissant s’ouvrir les plages sublimes de retour sur soi, d’intériorité. Formidable déjà ! Mais encore plus loin allait la 21° Sonate, avec l’incroyable maîtrise du temps et du mouvement, comme dans une infinie songerie promeneuse au molto moderato et, ailleurs, des merveilles de rythme et de décision. Dans le programme le moins complaisant qui soit, la démonstration de ce que peut une pianiste qui appartient en artiste au monde des plus grands disparus, Sviatoslav Richter, Rudolf Serkin, Annie Fischer.

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Leif Öve Andsnes est d’une autre génération, pas encore cinquante ans ; et d’une autre culture, plus moderne et ouverte. Mais par la maîtrise de la ligne musicale, par l’évidence du chant, par le contrôle de la sonorité, toujours splendide (et il peut être fracassant, s’il veut !) il appartient, absolument, à la race en voie de disparition des géants classiques du piano. Exemplaire programme, Schumann (Trois Romances, puis Carnaval) encadrant Janáček et Bartók. Si rarement données, ces Romances sont comme un résumé de Schumann, annonçant, mais de loin, la fantaisie déconstruite, souveraine du Carnaval final, qui suscita une ovation. Pourtant le moment miraculeux de la soirée, c’était le premier cahier de Sur un chemin couvert, de Janáček, promenade tourmentée mais calme dans une mémoire et un cheminement également impossibles. La délicatesse du toucher, la couleur, osons dire l’âme, transfiguraient cette musique que d’autres font inutilement austère, comme si la douleur, et la consolation aussi, que Janáček sans cesse exprime dans son piano, n’étaient pas assez. Mémorable ! Trois Burlesques de Bartók, d’un accent inimitable, allaient presque de soi. Incroyables bis, Nocturne de Chopin (son récent CD est admirable), Schubert étourdissant d’ingénuité, Schumann encore et un irrésistible Stravinsky déhanché. Que c’est divers, et que c’est beau, le piano ! Comme il nous faudrait des programmes si bien construits, et par des pianistes aussi héroïques !
Elisabeth Leonskaya, 27 novembre 2018
Leif Öve Andsces 11 décembre 2018
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