
« Les Troyens » (2019) : Michèle Losier (Ascagne), Brandon Jovanovich (Énée), Ekaterina Semenchuk (Didon), Stéphane Degout (Chorèbe), Paata Burchuladze (Priam), Stéphanie d’Oustrac (Cassandre), Jean-François Marras (Hellenus), Véronique Gens (Hécube) / © Vincent Pontet (OnP)
L’opéra Bastille nous offre, par les bons soins de Dmitri Tcherniakov, une très vilaine caricature des Troyens à Carthage. Dans la Prise de Troie cela passe encore. Le salon (une habitude chez lui) où se réunit la famille Priam et, dehors, ailleurs, la rue et ses façades et le peuple qui va mourir, cela a du sens et est porté par une musique qui a du drive, de l’élan. Avec en prime la Cassandre engagée de Stéphanie d’Oustrac et le chant souverain du Chorèbe, Stéphane Degout, l’heure et demie passe d’un trait.

« Les Troyens » (2019) : Michèle Losier (Ascagne), Brandon Jovanovich (Énée), Ekaterina Semenchuk (Didon), Stéphanie d’Oustrac (Cassandre), Véronique Gens (Hécube), Paata Burchuladze (Priam), Stéphane Degout (Chorèbe) / © Vincent Pontet (OnP)
Ensuite, c’est la bêtise, avec une puérilité intellectuelle qui attriste. Au motif que nous sommes tous des réfugiés, les Troyens depuis Troie, les Carthaginois depuis Tyr, on nous fourre tout cela pêle-mêle dans une sorte de caravansérail pour gens à réinsérer, avec chaises longues et exercices d’assouplissement ; et au milieu Didon en reine même pas de carnaval, mais de kermesse, délibérément banalisée : comme chacun ici se trouve banalisé, ne serait-ce que du fait des costumes. Le plus beau septuor musical du monde que suit le duo d’amour le plus éperdu, le plus transportant qui soit, eh bien ce sont ces deux personnages faits délibérément quelconques qui vont s’en acquitter, sans même que le décor et l’environnement les laissent à leur solitude et à leur nuit. Criminel.

« Les Troyens » (2019) : Ekaterina Semenchuk (Didon), Michèle Losier (Ascagne), Jean-François Marras (Hellenus), Véronique Gens (Hécube), Paata Burchuladze (Priam), Stéphane Degout (Chorèbe), Aude Extrémo (Anna), Stéphanie d’Oustrac (Cassandre)
© Vincent Pontet (OnP)
Encore si le chant de Didon et Enée nous transportait : mais Brandon Jovanovich et Ekaterina Semenchuk ici se contentent d’assurer, sans rien de la poésie épique et des coloris sublimes qui s’attachent à ces moments d’exception.
Une d’Oustrac qui va jusqu’au bout, prenant ses risques, et tenant bon ; Degout à lui seul justifiant la soirée ; un Jovanovitch assumant l’endurance d’Enée et qui méritait un autre contexte ; la très bonne voix de Semenchuk qui chanterait aussi bien Brangäne, ou la Favorite ; les splendides chansons de Iopas par Cyrille Dubois et Hylas par Bror Magnus Tødenes, voilà pour les beautés de scène.
Dans la fosse, Philippe Jordan et son orchestre, sonorités différenciées, soyeuses ou chatoyantes : mais ce beau fleuve ne suffit pas. Berlioz ici est poète et dramaturge, et il veut son texte, ses mots, et l’esprit aussi, l’inspiration qui les lui a dictés. Tcherniakov s’en fiche.

« Les Troyens » (2019) : Christian Van Horn (Narbal), Ekaterina Semenchuk (Didon), Brandon Jovanovich (Énée)
© Vincent Pontet (OnP)
Opéra Bastille, 19 janvier 2019
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