D’un “Magnificat” à l’autre

Enregistrement de l’album Bach à la Chapelle royale du Château de Versailles, décembre 2018 © Antonin Amy-Menichetti

Il s’agit peut être bien de toutes les œuvres vocales de Bach la plus serrée dans sa texture, jamais touffue dans sa tension propre. Derrière, un texte magnifique, et dans sa première séquence entièrement latin, comme est évidemment la Messe en si, nonobstant le luthérianisme strict de Bach. Même à ces hauteurs-là, un rai de la lumière proprement latine est bienvenu chez Bach. Avec leurs proportions hors normes et leur texte allemand (et aussi leur entrecoupement de chorals, intervention des fidèles assistant au culte) longtemps les Passions, et même le corpus plus ordinaire des Cantates, s’est assez mal exporté. Mais le disque est arrivé, qui efface toute frontière, la vogue s’y est mise, levant quelques barrières, mais en élevant d’autres, car la question s’est posée aussitôt : comment chanter Bach aujourd’hui ?

Je suis assez vieux monsieur pour être tenté de répondre : comme je l’ai d’abord connu. Un Klemperer, un Scherchen, un Karajan pouvait le diriger, un Hotter, une Grümmer, une Kathleen Ferrier pouvait le chanter : permettez qu’on ne cherche pas plus loin. D’ailleurs des traces restent, dont ce prodigieux festival Bach de Vienne 1950, année jubilaire. Et il n’y aura jamais plus de Kathleen Ferrier. Il faudra faire avec.

Longtemps la vague baroque, la déferlante, m’a semblé terriblement désinvolte avec la tenue en général, celle des archets, celle des voix, celle du son en général. Nous voici à la énième génération de la déferlante et je dois saluer ave enthousiasme un nom tout neuf, celui de Valentin Tournet, 23 ans. Il a donné le plus beau nom possible à la formation qu’il dirige, La Chapelle Harmonique, sans pompons florissants : mais la chose même, la vérité mêmes. (V. Tournet — © La Chapelle Harmonique)

Brillant gambiste lui-même, il a, comme tout gambiste, le chant et le lié du chant dans l’oreille. Le rythme incendiaire qu’il est capable d’impulser à certains moments de son Magnificat ne s’en porte que mieux. Je ne cesserai de garder mes réticences devant l’interpolation de quelques éléments rapportés dans une séquence que, telle que nous avions l’habitude de l’entendre, Bach a voulue et faite si serrée, impitoyablement serrée. Mais, miracle, le rythme ici ne s’en trouve pas attiédi et les quatre excellents solistes du chant ont tous timbre, flamme et tenue même si ce n’est pas au niveau Grümmer !

Se joint à ce Magnificat un autre, largement moins connu, la Cantate BW 63, qui a en commun avec le premier un fantastique départ allègre et jubilant, avec trompettes. Le jeu de transparence et de fluidité entre trompettes et violons, soit dit en passant, est déjà d ‘un maître chef.  Valentin Tournet se multiplie cet automne : Indes Galantes à Versailles, puis Magnificat et Cantate BW 147 à la Chapelle Royale et à l’Oratoire du Louvre. De ce Magnificat désormais en disque (Château de Versailles) et de ces soirs annoncés nous vient une chaleur au cœur qui en oublie les frimas qui viennent.

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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