
Le héros, c’est Mozart. Il n’y a peut-être rien au monde aussi beau qu’une représentation réussie des Noces de Figaro. On trouvera tout ce qu’on veut de sublime ailleurs chez Mozart (et même quelques autres). Mais cette complicité fusionnelle avec Da Ponte, son librettiste, et derrière celui-ci Beaumarchais ; mais cette comédie, ce drame aussi (au moins autant), cette action, cette folle action qui aussitôt se fait chant et musique ! Cela est resté unique.

Et quel chant, quelle musique ! Aucune horlogerie musicale n’a été montée, jamais, qui vienne à la cheville du finale du second acte, qui virevolte, gronde, sourit, a l’air d’improviser, à la fois la vie et la vérité mêmes, et ce charme fou qui se montre au moindre détail. Comment faire si peu chargé, si prodigieusement naturel ! C’est un château, des arbres, une soirée, de l’intrigue avec ce qu’il faut de masques : la servante a un air sublime à chanter, paradisiaque, à la brune, qui couronne pratiquement la soirée. Mais cette servante n’est pas la dame, elle reste, malgré le poids écrasant d’un rôle qui littéralement n’arrête pas, seconda donna. Tout ce que fait la Comtesse est autrement solennisé, par l’orchestre déjà : c’est là son naturel à elle. Et ainsi de suite.

Tout dans les Noces est si fortement dessiné, caractérisé, le geste et la parole sont si intimement fondus, s’exprimant l’un par l’autre, que dans ces Noces plus qu’ailleurs il ne faut pas toucher au miracle. Il faut montrer et faire entendre ce qui est écrit tel que ç’a été écrit. Figaro mesure un plancher, Suzanne se bricole un chapeau, Chérubin hors d’haleine chante son amour à toutes, il faut un fauteuil et un drap pour qu’à la suite l’un de l’autre Chérubin et le Comte s’y cachent etc. Le littéral dans les Noces est à la fois du poétique, et du réel. Ne pas déranger !

Il est assez merveilleux que James Gray, connu pour son excellent cinéma, fasse ses débuts de metteur en scène lyrique en traitant son difficile sujet avec un tact, une intelligence, un respect (de Mozart, et du public) qui le mettent d’emblée hors pair. On en a tellement subis, de ces médiocres élèves promus régisseurs et qui entendent montrer qu’ils sont patrons. Ce retour à la vérité des textes, et au respect en général, tranche sur le je m’en fichisme qui fait loi à l’opéra.

Jérémie Rohrer et son Cercle de l’Harmonie sont étourdissants de verve et de vie, tempi volontiers à la diable, et comme suspendus quand chante la Comtesse. Bravo. Stéphane Degout impose un Comte vocalement transcendant, avec un récitatif d’un précis et d’un pointu exemplaires. La ligne de Vannina Santoni, sa pâte de voix sont simplement l’idéal pour la Comtesse. On en redemande ! Comme d’Anna Aglatova pour Suzanne : un timbre, une agilité, mais d’abord un corps de voix, réelle et, le moment venu, lunaire sous ses pins. Robert Gleadow en Figaro a le diable au corps, et chante comme il joue et respire. Mais tous en vérité sont à la fois merveilleux et vrais, incarnés et pas chargés. Lumières sur un triste et vilain décembre. Les gens sortaient du théâtre heureux. On pourrait dire : consolés ; rassurés quant à l’opéra en scène.

Théâtre des Champs-Elysées, 8 décembre 2019
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