Année Wagner – Année Verdi – Les amabilités des génies – La plume de Cosima – Alkan, l’oublié – Le pèlerinage d’Arcueil – Et Britten ?

Pour les musiciens (et les mélomanes), l’année 2013 sera patronnée par un duo de choc, bien involontairement contemporain : Wagner-Verdi. Les grandes maisons d’opéras s’y sont naturellement préparées de longue date avec d’autant moins de mérite que ces deux géants de l’art lyrique n’ont pas vraiment besoin d’une célébration officielle pour figurer en tête du box-office. Mais à part la conjonction d’une naissance (le 22 mai 1813 pour Wagner, moins de cinq mois plus tard pour Verdi), et le partage des suffrages populaires (pas tout à fait les mêmes, sans doute), tout sépare l’auteur de Rigoletto et l’homme de la Tétralogie. Figure du Nord contre figure du Sud, leit-motiv contre bel canto, références philosophiques contre narrations historiques, musique de l’avenir contre observance des codes en usage — tout cela méritant, je le reconnais, plus de finesse dans l’analyse, plus de nuances dans le jugement.

Plus que de l’agacement
Nous disposons d’une grande année pour relire le célèbre « Lavignac », premier ouvrage français offert au culte wagnérien, les treize volumes des « Œuvres en prose » du grand Richard, et les innombrables études, qui occupent deux bons mètres de ma modeste bibliothèque ; et l’on complètera, par exemple, avec le «Verdi» de Carlo Gatti, le « Verdi et son temps » de Pierre Milza, le « Cas Verdi » de Jean-François Labie, sinon son « Autobiographie à travers la correspondance ». Et  l’on constatera avec surprise que Verdi et Wagner, quoique fréquentant souvent les mêmes lieux, ne se sont jamais rencontrés. Auraient-ils pu, d’ailleurs, disserter sans arrière-pensées ? Verdi aurait-il admis que l’œuvre de Wagner ne fut pas étrangère à sa propre évolution ? Wagner aurait-il reconnu que les succès de Verdi, sans entamer ses certitudes, provoquaient chez lui plus que de l’agacement ?

Duo sur le Grand Canal
Intéressante, à ce sujet, la lecture du Journal de Cosima, l’épouse toute dévouée. En date du 2 novembre 1875 : « Le soir, le Requiem de Verdi dont il est décidément préférable de ne pas parler »…. En revanche, le lendemain, porte-parole autorisée du Maître, Cosima s’extasie, mais dans une formule un peu sibylline, sur Carmen, « nouvelle œuvre française intéressante par la manière dont elle fait ressortir avec énergie la nouvelle mode française »… Sept ans plus tard, Richard Wagner est à Venise, où il décèdera, comme l’on sait, l’année suivante ; il remarquera un thème de Verdi chanté « en forme de duo sur le grand canal » et (c’est toujours Cosima qui parle, en date du 23 avril 1882), il notera, sans commentaires particuliers : « Il s’agit là d’une ligne naturelle, quelque chose que Rossini ne connaît pas »…

Quant à Verdi, il écrira, après avoir assisté à la première italienne de Lohengrin : « Belle musique quand elle est claire et mûrement pensée. L’action est aussi lente que les paroles. D’où ennui. Beaux effets instrumentaux. Abus de notes tenues trop longtemps, ce qui l’alourdit »…

Pas de quartiers entre collègues !

Dès les prochains mois, l’Opéra de Paris affichera une Tétralogie et un Falstaff, deux productions déjà dans les cartons.

Alkan
Un bi-centenaire marginal…

Les quatre âges
Rien, apparemment, n’est prévu pour célébrer le compositeur (et virtuose) français Charles Valentin Alkan, également né en 1813, personnalité énigmatique — « une conduite singulière, un destin de marginal », dit Brigitte François-Sappey, sa biographe ; cet ami de Liszt et de Chopin fut essentiellement l’auteur de pièces pour piano, dont la Sonate les Quatre âges (20, 30, 40 et 50 ans, on meurt jeune à l’époque), qui, avec son programme littéraire, renvoie d’une certaine façon à la Symphonie Fantastique.

Alkan sur Wagner (lettre à Ferdinand Hiller du 31 janvier 1860) : « …je dis d’un seul mot que Wagner n’est pas un musicien, mais que c’est une maladie ». Charmants confrères, en effet…

Archives
À propos des centenaires, quoique n’ayant pas un goût particulier pour cette façon de célébrer un artiste que l’on s’excuse (parfois) d’avoir négligé, et qu’avec bonne conscience on abandonnera le lendemain, j’ai retrouvé dans mes archives le première célébration dont je me suis occupé : le centenaire d’Erik Satie, en 1966, dans sa bonne ville d’Arcueil.

Devant le buste de Satie, Darius Milhaud

Devant le buste de Satie, Darius Milhaud dont la chaise roulante est guidée par Henri Sauguet, satiste d’honneur. En présence de Marcel Trigon, le jeune maire (communiste) d’Arcueil.

Le Baron Méduse
Il y eut auparavant le vingtième anniversaire de la mort de Webern (Festival de Royan, 1965) ; il y aura ensuite : les soixante-dix ans d’Olivier Messiaen, puis son centenaire, le centenaire de Béla Bartók, le centenaire de Darius Milhaud et de Daniel-Lesur (qui m’enseigna le contrepoint à la Schola Cantorum, et je lui devais bien cette reconnaissance)… Sans oublier, mais sur un registre quelque peu différent, la célébration du bi-centenaire des Etats-Unis 1976, qui nous permit d’accueillir à La Rochelle, dans le cadre des Rencontres internationales d’art contemporain, des artistes aussi éminents et différents que John Cage, Steve Reich, Martha Graham, Andréï Serban et Cecil Taylor.

Mais le week-end Satie de mai 1966 m’a laissé un souvenir particulièrement vif, avec la représentation du Piège de Méduse où Henri Sauguet tenait le rôle du Baron Méduse, « très riche rentier », un superbe récital de piano où l’on avait associé Aldo Ciccolini et Jacques Février, une bien intéressante exposition co-produite par la Bibliothèque Nationale grâce à mon ami François Lesure, et un  pèlerinage à travers ces rues d’Arcueil où l’auteur des Gymnopédies conduisait chaque jeudi le patronage laïque. Dans un Comité d’honneur, nettement plus musical qu’institutionnel, nous avions notamment réuni Georges Auric, Jane Bathori, Pierre Bertin, René Clair, Marya Freud, Valentine Hugo, Darius Milhaud, Henri Sauguet, Virgil Thomson, Jean Wiener. Tous disparus aujourd’hui — ainsi va la vie !

Héros britannique
Enfin, retour sur les centenaires de l’année : nous avons encore plus de cinquante semaines pour honorer un héros britannique : Benjamin Britten, né à Lowestoft, dans le Suffolk, le 22 novembre 1913.

Retrouvez la chronique de Claude Samuel dans la revue Diapason de janvier : « Ce jour-là : 30 avril 1902, la création de Pelléas et Mélisande »

A propos de l'auteur

Claude Samuel

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Les commentaires de Claude Samuel sur l'actualité musicale et culturelle, étayés de souvenirs personnels.

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