Un barbare à Orsay – Le Groupe des Huit – Dieu – Du Parc Monceau au Moulin de la galette – Le Concours Rubinstein – Souvenirs des Juilliard

 

Béla Bartók, un « jeune barbare hongrois » ? On a oublié le nom du critique français qui a lancé l’expression après avoir assisté en 1910, à Paris, à un « Festival hongrois », mais l’expression a fait fortune. Barbare, je le suis en effet, semble clamer Bartók, qui compose quelques mois plus tard une brève pièce pour piano, cri de guerre percutant, vague déchaînée, explosive, et l’intitule Allegro barbaro. Aujourd’hui, titre emblématique pour une exposition du musée d’Orsay qui se poursuivra jusqu’au 5 janvier prochain.

L’exil volontaire
Mais en vérité, l’exposition d’Orsay raconte moins l’histoire de Bartók, des musiques populaires qu’il a recueillies en Turquie ou au Maroc, de ses chefs-d’œuvre qui marquent quelques grands moments de la création contemporaine, de son exil (volontaire) aux Etats-Unis, que de ses relations avec la modernité picturale hongroise que l’on découvre à l’occasion avec les toiles d’Ödön Márffy, de Róbert Berény, de Sándor Ziffer ou Béla Czóbel lesquels, à la hongroise, donnent la réplique à Gauguin, Matisse, Derain, Vlaminck, Braque. C’est un vrai plaisir, naturellement, de découvrir des peintres hongrois de qualité, membres de ce « Groupe des Huit » qui fit jadis un certain bruit au bord du Danube. Mais le combat, si j’ose dire, est inégal, Bartók n’étant pas « la réplique de ».

Entre les toiles, l’auteur du Mandarin merveilleux se fraye un petit chemin. Ici, des documents : programmes des premiers concerts, livret du Château de Barbe-Bleue de Béla Balázs dédicacé au compositeur, la première page de l’Allegro barbaro ; là, quelques partitions, des photos aussi, dont l’une prêtée par les archives Bartók de Budapest où l’on voit le musicien jouer de la vielle.

Bela Bartók en praticien, juin 1908 © Archives Bartók, Institut de musicologie

Béla Bartók en praticien, juin 1908
© Archives Bartók, Institut de musicologie

38 secondes !
Quelques flashes musicaux : Bartók interprétant la Sonate pour violon et piano de Debussy en compagnie de son ami le violoniste Joseph Szigeti, toujours Bartók au piano pour son Allegro barbaro capté à New York en 1942 (mais 38 secondes seulement !), un extrait des Quatorze Bagatelles jouées par Zoltán Kocsis, trois extraits filmés par la BBC du Château de Barbe-Bleue. Des phrases aussi qui rappellent le caractère particulièrement intransigeant, naïf parfois, de celui qui compromettra sa carrière pour protester contre le nazisme. 1905 : « Je suis arrivé à Paris, cette ville divine sans dieu. » (1905, cela nous rappelle naturellement quelque chose…)

Bartók dans la campagne en Slovaquie recueille les chants et photographie… © Archives Bartók, Institut de musicologie

Bartók dans la campagne en Slovaquie recueille les chants et photographie… © Archives Bartók, Institut de musicologie

Ailleurs, Bartók écrit : « Il est bizarre que la Bible dise : “Dieu a créé l’homme”. Car c’est juste le contraire : c’est l’homme qui a créé Dieu (…) Il est bizarre que les carrières d’un prêtre et d’un acteur soient opposées, car l’un et l’autre font la même chose : ils récitent des fables… » Et Paris (Ah, le musée du Luxembourg ; ah, le Parc Monceau !… Et le Moulin de la galette !) admirée, en cette année 1905 où le jeune Bartók (24 ans) tente le Concours Rubinstein (piano et composition), repart bredouille et ne peut contenir son dépit : « Si au moins c’était un type de quelque valeur qui avait remporté le prix devant moi, je ne dirais rien. Mais que ces butors aient déclaré mes travaux indignes du prix, c’est tout de même le signe d’une bêtise inouïe. » Et dans ces confidences livrées à sa mère, il ajoute : « Ma logeuse, Mme Condat, a également assisté aux épreuves. Elle est révoltée et, dans sa fureur, elle a baissé le prix de ma chambre des 9 francs d’origine à 7… » Toutes informations rassemblées dans la magnifique biographie de Claire Delamarche, publiée chez Fayard en 2012 et couronnée par un Prix des Muses.

L’argent des cigarettes
Quant au musée d’Orsay, il ne se contente pas d’images. Il propose une série de concerts du 12 novembre au 21 janvier. Quatuors à l’honneur avec les Takács, les Prazac, les Keller, les Psophos (et le Quatuor Voce, et le Quatuor Heath). Ces six chefs-d’œuvre, désormais des classiques ; ce qui n’était pas encore le cas lorsque j’ai organisé à Paris en 1981 les manifestations du Centenaire et, malgré la présence du fameux Quatuor Juilliard, il fallut coupler les Bartók avec Beethoven pour que la Salle Gaveau soit bien garnie. Au même programme, nous avions présenté une exposition, accueillie et mécénée par la Seita, en ce temps où l’argent des cigarettes ne sentait pas trop le tabac…

Lyon cherche mécènes
Au secours ! C’est le cri d’alarme lancé par le Concours de musique de chambre de Lyon, une compétition, jeune encore mais qui a fait ses preuves et cherche des mécènes pour son édition 2014. Je sais d’expérience que le budget d’un concours de musique n’est vraiment pas colossal, à la portée, en tout cas, des pouvoirs publics, nationaux, municipaux, régionaux, à condition que les politiques, qui ne cessent de parler des jeunes, fassent le nécessaire pour stimuler les nouveaux talents. Trouver des mécènes est une noble ambition, mais c’est une manière, pas très élégante pour un ministre, un maire, un président de conseil régional d’évacuer discrètement une tâche qui lui incombe, bien naturellement. Malheureusement les candidats aux concours internationaux sont rarement des électeurs… Bravo les mécènes ! Il ne reste plus aux politiques que de bien vouloir participer à la fête.

 

Couv Diapason 617Retrouvez la chronique de Claude Samuel dans Diapason, numéro d’octobre :

« Ce jour-là : 10 septembre 1838 – La chute de Benvenuto Cellini »

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Claude Samuel

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Les commentaires de Claude Samuel sur l'actualité musicale et culturelle, étayés de souvenirs personnels.

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