Les quinze ans du Festival Présences – Les lieux de la modernité – Du théâtre des Champs-Elysées à la Salle Olivier Messiaen – Richard Dubugnon, Esteban Benzecry, Martin Matalon

 

Depuis le 6 février (et jusqu’au samedi 21), le Festival Présences de Radio France propose aux amateurs parisiens, friands de découvertes, de surprises et de fortes émotions, treize manifestations, et je dois dire qu’en créant jadis Présences, malgré les réticences des puissances financières de la maison, je n’imaginais pas que l’aventure durerait un quart de siècle, encore moins que le thème que j’avais choisi pour la première édition, America, ressurgirait (avec extension aux deux Amériques) vingt-cinq ans plus tard.

 

Douloureux fantômes

America se déroulait alors au Théâtre des Champs-Elysées, lieu privilégié d’un public dont j’avais surestimé l’intérêt pour les découvertes, surprises et autres émotions fortes. Je me souviens, dans la rubrique des à-côtés de la politique, que j’avais invité George Crumb (musicien américain de qualité, aujourd’hui octogénaire, peu reconnu en France et absent de l’affiche de Présences 2015), lequel n’était pas venu. Sa femme avait jugé plus prudent de le garder dans leur coquette maison de Philadelphie ; c’était l’époque de la guerre du Golfe. À chaque époque, ses douloureux fantômes…

L’année suivante, constatant qu’il ne fallait pas compter sur le public de l’avenue Montaigne, ces petits-fils des duchesses qui avaient perturbé la première du Sacre du Printemps, je décidai donc de rapatrier l’ensemble du festival dans notre maison et, une nouvelle fois malgré les forces économiques de Radio France, d’imposer la gratuité pour assister à toutes les manifestations. Un service public peut se permettre une telle élégance. Le résultat fut impressionnant : dès le premier concert, je découvris avec stupéfaction la queue qui s’allongeait devant les portes de la Salle Olivier Messiaen, rebaptisée aujourd’hui, pour d’obscures raisons, Studio 104 — mais je pense que, dans l’autre monde, l’auteur de Saint François n’en fait pas une histoire, d’autant que c’est juste après son décès que Radio France avait décidé, pour lui rendre hommage, d’afficher son nom à l’entrée de ce qui était alors la grande salle de concerts…

 

Les plus de 28 ans 

Aujourd’hui, ce n’est donc plus devant la porte de la Salle Olivier Messiaen que l’on fait la queue ; d’ailleurs, il n’y pas de queue : sans doute, les quelques euros demandés à l’entrée dissuadent-ils les plus de 28 ans ; quant aux événements, ils se déroulent dorénavant dans le nouvel Auditorium, notamment le concert d’ouverture auquel j’ai eu le plaisir d’assister en compagnie d’un public trop clairsemé et en l’absence de tout représentant officiel de la Ville de Paris… Pour  ceux qui se posent la question, j’ajouterai que la Ministre de la Culture n’était pas là non plus. Les beaux discours (l’innovation, la jeunesse, etc.) s’arrêtent aux portes de nos espaces musicaux…

Reste la question majeure : les choix de programmation. Que l’on soit partisan d’une modernité militante, ce que j’avais défendu lorsque j’étais en charge de la programmation de feu le Festival de Royan et des premières éditions de Présences (et c’est toujours le cas aujourd’hui au festival Musica de Strasbourg ou au festival Manifeste de l’Ircam), ou d’options plus « consensuelles », on accepte les risques de l’exercice, risques partagés avec un public qui, la plupart du temps, ignore tout des auteurs (et jusqu’à leur nom) qui lui sont proposés. C’est la règle du jeu.

 

Conlon Nancarrow et ses drôles de machines

Conlon Nancarrow et ses drôles de machines

Grand bazar folklorique

Or, le soir de l’ouverture, brillamment assumée par l’Orchestre Philharmonique de Radio France sous la direction de Manuel Lopez-Gomez, c’est clairement le vénézuelien Evencio Castellanos (1915-1984) qui fut le meilleur à l’applaudimètre avec son Santa Cruz de Pacairigua, grand bazar folklorique un peu palot malgré le déferlement de ses percussions face aux rythmes colorés d’un Villa-Lobos (1887-1959), pas au programme de Présences. En revanche, parmi les têtes pensantes sud-américaines de la modernité, j’aurais apprécié qu’apparaisse le nom de Mauricio Kagel, fascinant mélange de fantaisie argentine et de rigidité germanique. Intéressante, à ce même concert, malgré sa brièveté, la Pièce n°2 du mexicain Conlon Nancarrow (1912-1997), le spécialiste des pianos mécaniques…

 

Parfums afro-domenicains

Entre ces deux ancêtres, se sont inscrits le conservatisme de bonne facture du suisse Richard Dubugnon (et le talent de Gautier Capuçon, magnifique soliste de ce concerto), l’habileté de l’argentin Esteban Benzecry, qui devrait apprendre à faire bref, et les parfums afro-domenicains de Darwin Aquino. Dirai-je que la musique contemporaine se cherche ?

Frustration : qu’aurais-je pu penser de ce quinzième festival en n’étant présent qu’au coup d’envoi ? Et j’ai eu raison d’insister : belle surprise à la soirée du 9 février avec le concert de l’Ensemble Accroche-note. Une écriture instrumentale prospective, un superbe duo avec la voix de Françoise Kubler et la clarinette d’Armand Angster et, en conclusion d’un programme inégal (mais, encore une fois, c’est la règle du jeu), une partition très joliment agencée pour soprano, accordéon/bandonéon, percussions et dispositif électronique de Martin Matalon, ce franco-argentin quinquagénaire, invité naguère au Centre Acanthes, rompu aux techniques électroacoustiques de l’Ircam.

 

Martin Matalon – Un familier des festivités contemporaines (DR)

Martin Matalon – Un familier des festivités contemporaines (DR)

 

Rien n’est à exclure…

Pour les prochains jours, j’ai repéré les noms du canadien Claude Vivier et de Thierry Pécou, compositeur, pianiste et chef d’orchestre (demain samedi à 20 heures) ; de Steve Reich avec les percussions de l’Orchestre National (lundi à 20 heures), mais rien de très nouveau sous le soleil du répétitif ; de John Adams et de Peter Lieberson (jeudi 19) ; et de José Evangelista, espagnol de naissance, canadien de résidence (vendredi 20).

Pour le reste, suivez votre inspiration ! Dans la musique contemporaine, rien n’est jamais acquis, rien n’est à exclure…
 
 
 
_16LRM_DIA_0632_001.pdfRetrouvez la chronique de Claude Samuel dans Diapason, numéro de février 2015 :
 
 
« Ce jour-là, 9 mars 1831 :
le premier concert parisien de Nicolo Paganini »

 
 
 
 

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Claude Samuel

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Les commentaires de Claude Samuel sur l'actualité musicale et culturelle, étayés de souvenirs personnels.

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