Le blog de l’été (8) – Ce jour-là : 2 janvier 1791

 

Johann Peter Salomon, l’homme qui réussit à convaincre Josef Haydn

Johann Peter Salomon, l’homme qui réussit à convaincre Josef Haydn

Ce jour-là, Joseph Haydn est arrivé à Londres après dix-neuf journées d’un voyage éprouvant en compagnie de son impresario Johann Peter Salomon. Ce jour-là, Haydn, qui avait passé trente ans au service des Esterhazy, allait découvrir une nouvelle vie. À partir de ce jour-là, il prendra conscience de sa notoriété internationale. 2 janvier 1791 : Papa Haydn, qui a débarqué à Douvres la veille, après être passé par Munich, Wallerstein, Bonn (où il n’est pas exclu qu’il ait croisé le jeune Beethoven), Calais (« sous des pluies torrentielles »), découvre la capitale de l’Empire britannique. Il logera, ce 2 janvier, chez John Bland, son éditeur de musique, qui lui servira une soupe aux pois particulièrement appréciée.

 

D’énormes vagues

Le compositeur, qui n’a jamais quitté le continent et jamais vu la mer, comprend d’emblée qu’une traversée maritime n’est pas une partie de plaisir. Il écrit à sa chère Marianne, l’épouse du docteur Genzinger, médecin personnel du Prince : « Je suis resté sur le pont toute la traversée pour contempler à loisir ce monstre effrayant, l’océan. Tant que tout est resté calme, je n’ai pas eu peur, mais vers la fin, comme le vent devenait de plus en plus fort et que je voyais d’énormes vagues se précipiter sur moi, j’ai été saisi d’une légère appréhension, et aussi d’une légère indisposition. Mais j’ai réussi à tout surmonter, et à débarquer (excusez-moi) sans avoir vomi. La plupart des passagers étaient malades, et avaient l’air de fantômes (…) Il m’a fallu deux jours pour me remettre. »

Et, malgré ce bref malaise, le compositeur va remplir ses devoirs : visite au prince Castelcicala, ambassadeur de Naples à Londres et au baron von Studion, ambassadeur d’Autriche. Le futur auteur des Saisons ne passe pas inaperçu : « Mon arrivée a causé une grande sensation par toute la ville, et pendant trois jours mon nom a été dans tous les journaux ; tout le monde désire me connaître. J’ai déjà dû dîner six fois dehors, et pourrais être invité tous les jours si je voulais, mais je dois songer d’abord à ma santé, et ensuite à mon travail. Je ne reçois personne avant deux heures de l’après-midi à l’exception des milords. » À cinquante-huit ans, Haydn doit se ménager…

L’histoire avait commencé le 28 septembre précédent, à la mort de Nicolas 1er Joseph Esterhazy, surnommé « Nicolas le Magnifique », fastueux mélomane et lui-même destinataire des 175 pièces pour baryton (instrument à vent aujourd’hui oublié) que Haydn avait composées à son intention. Hélas, le champ musical est étranger au prince Anton, son successeur, lequel décide de congédier tous ses musiciens, sauf son maître de chapelle qui, sans emploi, a choisi de vivre une retraite heureuse à Vienne. Mais en ce temps où il fallait trois semaines pour aller de Vienne à Londres, les nouvelles franchissaient allègrement les frontières : Haydn est libre et l’occasion est belle.

 

Mozart : « Papa, vous connaissez si peu le grand monde »

Mozart : « Papa, vous connaissez si peu le grand monde »

Trois mille florins

Une première proposition émane du roi de Naples, la seconde sera la bonne. Un étranger frappe à la porte de Haydn : « Je suis Salomon de Londres, et je viens vous chercher ; demain nous conclurons un accord »… Haydn hésite : il n’a pas l’expérience des voyages, il ne parle pas l’anglais, mais Johann Peter Salomon (compositeur, violoniste de talent et négociateur avisé) aligne de bons arguments : « Trois mille florins pour un opéra et cent florins pour chaque nouvelle œuvre, que vous dirigerez en vingt concerts. » Mozart, qui avait dédicacé cinq ans auparavant ses six Quatuors op. 10 à Haydn, donne son avis – négatif : « Papa, vous connaissez si peu le grand monde et parlez si peu de langues ! »… Réplique de Haydn : « Oh ! La langue que je parle est comprise dans le monde entier »…

Le marché est conclu et notre impresario fait passer une annonce dans la presse londonienne : « M. Salomon, ayant entrepris un voyage à Vienne dans le seul but d’engager le célèbre Haydn, maître de chapelle de Son Altesse, l’actuel prince Esterhazy, à se rendre à Londres, informe très respectueusement Nobility et Gentry qu’il a effectivement signé un contrat avec M. Haydn. En conséquence, ils quitteront Vienne ensemble dans quelques jours, et espèrent être à Londres avant la fin décembre, date à laquelle M. Salomon aura l’honneur de soumettre au public un projet de concert par souscription dont il espère bien qu’il rencontrera son approbation et ses encouragements. »

 

Derniers adieux

Le départ est fixé au 15 décembre et, selon le témoignage d’Albert Christoph Dies, « Ce jour-là, Mozart ne quitta pas son ami Haydn. Il prit son repas chez lui et lui dit au moment de s’en séparer : « Nous nous faisons sans doute nos derniers adieux dans cette vie. » Des larmes coulèrent de leurs yeux. Haydn était très ému, car il appliquait les paroles de Mozart à lui-même, étant tout à fait incapable d’imaginer la possibilité, pour l’inexorable Parque, de trancher dès l’année suivante le fil de la vie de Mozart. » Douze mois plus tard, Haydn notera dans son Journal : « 5 décembre 1791 : Mozart est mort » et, à la veille d’achever son premier voyage Outre-Manche, il écrira à son interlocutrice préférée : « J’éprouve une joie enfantine à l’idée de rentrer chez moi, de pouvoir embrasser mes bons amis, ma seule douleur est que le grand Mozart ne sera pas parmi eux, s’il est vrai et irréparable qu’il soit mort. Il faudra plus que cent ans, pour que la postérité connaisse un pareil talent. »

Rebecca Schroter, l’amoureuse de Londres

Rebecca Schroter, l’amoureuse de Londres

Quant à Haydn, qui, au cours de ses deux séjours londoniens, va composer douze de ses plus fameuses symphonies, il connaîtra la gloire. Il sera salué, dès son arrivée, par le Prince Galles (futur George IV) et, malgré une cabale (« Il y a trop de musiciens étrangers à Londres »…) qui ne le troublera guère, il appréciera les bruits de cette grande ville, ses monuments, les séries de concerts dont il est le héros, les courses d’Ascot et cet hommage de l’Université d’Oxford au cours duquel on lui remit le titre de docteur Honoris Causa (« Je me trouvais terriblement comique dans cette robe et ce qui était pire, c’était que, trois jours durant, je dus me montrer dans la rue, déguisé de la sorte. Mais je dois dire qu’en Angleterre, c’est à ce titre de Docteur que je fus redevable de tout. »)

Enfin, il entreprit une relation sentimentale avec Rebecca Schroeter, une sexagénaire qu’il aurait volontiers épousée, lui dont le mariage avait été un échec et qui pensait que les femmes de Londres étaient les plus belles du monde »…

 

(Diapason – Chronique de novembre 2014)

 
 
 
Pour combler votre curiosité
Joseph Haydn, l’homme et son œuvre  (Fayard)
 
 
 
couv diapason réduite (2)Retrouvez la chronique de Claude Samuel dans le magazine Diapason de septembre 2015 :
 
 
« Ce jour-là, 20 février 1816 : Création du Barbier de Séville »
 
 
 
 
 

A propos de l'auteur

Claude Samuel

Claude Samuel

Les commentaires de Claude Samuel sur l'actualité musicale et culturelle, étayés de souvenirs personnels.

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