Le blog-notes de Claude Samuel Lettre à l’Immortelle bien-aimée – Berlioz, Mozart, Poulenc, Debussy – Emile Goué, l’oublié – « Les petits nègres de Saint-Saëns » – L’ananas

Avec ses outrances et sa mégalomanie, Berlioz fut un morceau de choix pour les caricaturistes, dont Etienne Carjat qui s’est régalé avec notre Hector national.…

Avec ses outrances et sa mégalomanie, Berlioz fut un morceau de choix pour les caricaturistes, dont Etienne Carjat qui s’est régalé avec notre Hector national.…

Nous savons bien, et plus encore en cette période de vœux, que le mail et le sms se sont définitivement substitués à la lettre (ou carte) manuscrite. C’est sans doute une bonne nouvelle pour la communication mais sûrement pas pour la préservation de la mémoire. Comment sera sauvegardée la lettre à l’Immortelle bien-aimée de l’avenir, alors que l’on relit et commente encore celle de la main de Beethoven, quoiqu’on ne sache toujours pas avec certitude à laquelle de ses bien-aimées il avait destiné l’original… ?

Or les correspondances des musiciens, outre le fait qu’elles contribuent à la meilleure connaissance de la vie d’un créateur, percent, parfois en toute impudeur, son intimité, et certaines d’entre elles sont particulièrement réjouissantes ; je songe à la correspondance de Berlioz, grand épistolier devant l’Eternel, à Mozart qui parlait cru et dont la lecture des sept volumes est un vrai bonheur, à Francis Poulenc, le plus brillant de nos musiciens prosateurs contemporains, à Claude Debussy surtout, dont mon ami François Lesure annota jadis les quelque deux mille cinq cents lettres pour les Editions Gallimard — correspondances toujours en devenir.

J’en vois la meilleure preuve en notant la mise en vente récente d’une lettre inconnue de Debussy à Louis Barthou, homme politique marquant de la IIIe République qui sera une victime collatérale de l’assassinat à Marseille d’Alexandre 1er, roi de Yougoslavie. Dans cette lettre manuscrite datée du 17 janvier 1916 (estimée avant les enchères à 6.300 €), Claude Debussy intervient en faveur de Raoul Bardac, son beau-fils mobilisé, qui souhaite être rattaché à l’armée anglaise. Je ne dis pas que ce genre de lettres est essentiel pour enrichir nos connaissances — au lecteur de faire le tri !

Emile Goué (1904-1946), victime de la seconde guerre mondiale

Emile Goué (1904-1946), victime de la seconde guerre mondiale

En ce domaine, la fournée éditoriale proposée au prochain Prix des Muses (lequel bénéficie désormais de la belle visibilité de France Musique) est intéressante. Elle ressuscite, sous l’enseigne de L’Harmattan, un compositeur très oublié, Emile Goué (devoir familial de mémoire, je suppose) qui, au cours de la dernière guerre, informe régulièrement son épouse, sa « chère petite reine », des aléas de son existence quotidienne. Prisonnier, comme Olivier Messiaen, mais pendant une période nettement plus courte, il continuera, lui aussi, à composer derrière les barbelés.

La facture d‘une œuvre
Oflag XB, le 29 février 1944 : « Le premier mouvement de mon Quintette est terminé pratiquement. Je l’ai énormément travaillé depuis quatre mois ; mais je me rends de plus en plus compte combien les conditions matérielles et morales conditionnent la facture d’une œuvre ». Qu’en aurait dit l’auteur du Quatuor pour la fin du Temps ?

Plus conséquente, sinon très passionnante, voici la correspondance échangée de 1913 à 1921 entre Camille Saint-Saëns et Jacques Rouché, qui fut le patron de l’Opéra de Paris pendant trente-deux ans. Une correspondance où l’on parle souvent boutique. Rouché, avant la reprise d’Henry VIII : « Voyez Mlle Borel : sa voix est belle, mais il faut la faire travailler. » Réponse de l’auteur : « Certainement, mon cher directeur, elle a une belle voix ; mais elle chevrote horriblement. Dans les moments de déclamation dramatique, cela passe encore ; mais quand il arrive une phrase mélodique, elle est saccagée. » Et l’auteur aura gain de cause !

Jacques Rouché (1862-1957) passa bientôt des Parfums Piver dont il avait épousé l’héritière, au Palais Garnier où il fit merveille.

Jacques Rouché (1862-1957) passa bientôt des Parfums Piver dont il avait épousé l’héritière, au Palais Garnier où il fit merveille.

Les petits nègres
Plus loin, Saint-Saëns s’intéresse au « ballet des petits nègres… réglé à ravir, mais pourquoi ces nègres sont-ils blancs ? Est-ce par économie ? » L’ouvrage est finement présenté par Marie-Gabrielle Soret, conservateur au Département de la Musique de notre Bibliothèque nationale, et commissaire de l’actuelle exposition Messiaen « Un génie au travail » sur le site François-Mitterrand dont j’aurais sûrement l’occasion de reparler.

Enfin, l’un des derniers ouvrages que je viens de recevoir pour les Muses 2017, publié par Actes Sud et, comme le précédent, mécéné par la Fondation La Poste, ce qui est bien normal, regroupe de nouvelles lettres de Berlioz, de sa famille et de ses contemporains, dont ce billet du compositeur à Richard Wagner, daté du 27 mai 1860 : « Mon cher Wagner, on vient de m’envoyer un très bel ananas de Rio (de) Janeiro, venez dîner avec nous demain lundi à 6 heures. » Et nous apprenons ainsi que l’auteur des Troyens appréciait ce fruit exotique. Ce qui, vous en conviendrez, méritait naturellement de passer à la postérité…

Un dernier mot relatif à la confidentialité de certains propos : pas de censure ! Si certains compositeurs (écrivains, peintres, hommes politiques) ne tiennent pas à divulguer leurs passions intimes ou leurs désirs inavouables, il ne tient qu’à eux de détruire, quand il en est encore temps, lesdites pièces à conviction…
 
 
 
couv-janv-petite

Retrouvez la chronique de Claude Samuel
dans le magazine Diapason de janvier 2017 :

« Ce jour-là, 1er juillet 1905 :
Gabriel Fauré nommé directeur du Conservatoire de Paris »

 

A propos de l'auteur

Claude Samuel

Claude Samuel

Les commentaires de Claude Samuel sur l'actualité musicale et culturelle, étayés de souvenirs personnels.

Laisser un commentaire