Le blog-notes de Claude Samuel Les chansons de Prévert de Kosma – De Haendel à Carl Orff – Arletty – Naissance d’un festival – René Bertelé, éditeur de la vieille école

kosma

Joseph Kosma (1905-1969) Auteur des “Feuilles mortes” pour l’éternité, et compositeur d’un oratorio sur la révolte des Canuts à Lyon, où l’œuvre de Kosma a été créée en 1964

La récente publication dans les Cahiers de la nrf (Ed. Gallimard), de René Bertelé – Jacques Prévert me renvoie à ma première rencontre avec le poète de Paroles. C’était à Antibes, en un temps lointain — Antibes où, à quelques enjambées des remparts, Prévert passait les mois d’été avec Janine, son épouse, et sa fille Michèle (dite Minette, Minoute, Minouche). J’étais chargé d’interroger Prévert pour un album-disque (vinyle, naturellement) consacré aux chansons de Prévert et Kosma — l’inoubliable Barbara, la mythique Pêche à la baleine, En sortant de l’école, etc., album qui porte la référence V.1 et devait être publié dans la nouvelle collection Philips-Réalités.

LES_FRERES_JACQUES_CHANTENT_PREVERT_[...]Prévert_Jacques_bpt6k8800822wJ’imagine que l’entretien ne fut pas une partie de plaisir : Prévert n’était guère loquace et suivre son discours n’était pas évident. Il me parla néanmoins de la musique : « Quand je collaborais avec Kosma, je lui disais : « Ici, la musique doit être plus triste, ou plus gaie. » Et puis, la musique… C’est un drôle de truc ! Quand j’avais douze ans, je détestais Haendel, à cause du Messie et, vingt ans plus tard, j’ai entendu à la radio anglaise une musique merveilleuse et le speaker a annoncé Water-Music du même Haendel, alors, que voulez-vous… ? »

Jacques Prévert (1900-1977)

Jacques Prévert (1900-1977)

Le maître des collages
Par la suite, j’ai revu Prévert de temps en temps dans son appartement parisien de la Cité Véron, juste au-dessus du Moulin-Rouge, et j’ai le souvenir d’une longue conversation téléphonique avec Arletty, l’inoubliable Garance des Enfants du paradis, le film (de Carné) dont Prévert avait écrit les dialogues — conversation que la présence d’un tiers ne gênait apparemment pas ; entre temps, il s’était brouillé avec Kosma pour une banale affaire de gros sous. Il maniait avec virtuosité le paradoxe, mais il fallait traduire… Il était devenu le maître des collages et cet anticlérical invétéré avait placé sur le panneau intérieur de sa porte d’entrée la panoplie (avec couteau sanguinolent et tenue ecclésiastique) du Curé d’Uruffe, ce prêtre dont le crime odieux défraya la chronique.

G00517La musique classique n’était pas au programme de nos rencontres ; et je fus particulièrement surpris le soir où je l’ai rencontré au Théâtre des Champs-Elysées, à l’entracte d’un concert. Ce soir-là, on jouait Carl Orff, ce qui n’était guère dans notre champ d’intérêt, nous qui ne jurions que par Boulez et Stockhausen. Et c’est pourtant Prévert qui me conduisit très indirectement, et dans la plus parfaite ignorance, vers mon implication dans différentes manifestations de la modernité musicale. Tout ayant commencé lorsque René Bertelé, l’éditeur de Prévert chez Gallimard, me reçut dans son petit bureau affreusement encombré de la rue Sébastien-Bottin, me remit divers documents pour préparer mon entrevue d’Antibes et me commanda quelques semaines plus tard, avec l’accord de Gaston, le patron, un Panorama de l’art musical contemporain, dont les 10.000 premiers exemplaires furent épuisés en quelques années. Repéré par ce livre fortement engagé d’un jeune critique, on me proposa, deux ans après sa parution, la direction artistique d’un festival naissant en Charente-Maritime, et ce fut l’aventure du Festival de Royan… Voilà ce qui risque d’advenir quand on s’intéresse aux chansons de Frères Jacques… Etranges détours de la vie.

Un grand éditeur
De cela, il n’est évidemment pas question dans le livre passionnant de la nrf. Mais au-delà de l’épopée héroïque du plus gros tirage de l’édition poétique française, on y suit le travail quotidien, patient et obstiné, d’un grand éditeur ; car Prévert n’était évidemment pas un auteur comme les autres. Et si j’en juge par ma propre expérience, René Bertelé qui avait été l’ami d’Henri Michaux et de Max Ernst, n’était pas non plus un éditeur comme les autres ; il m’arracha pratiquement feuillet par feuillet les 840 pages de mon Panorama, me fit vérifier les sources de la moindre citation et, sans avoir la moindre connaissance de la musique contemporaine (seul le personnage d’Erik Satie était susceptible de l’intéresser) il m’adressait les plus pertinentes observations. Oui, c’était un homme de la vieille école, un modèle disparu.

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Quelques semaines de vacances : s’ils le veulent bien, mes blogueurs me retrouveront le vendredi 8 septembre…
 
 
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Retrouvez la chronique de Claude Samuel
dans le magazine Diapason de juillet-août 2017 :

« Ce jour-là, 13 mars 1934 :
Le premier concert de l’Orchestre national »

 

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genevieve

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