Le blog-notes de Claude Samuel Une vente aux enchères – Boulez, le polémiste – Le Concerto de mai – Erik Satie et René Leibowitz – L’esthétique et les fétiches

Pierre Boulez, la première fois que je l’ai photographié – en 1967, dans sa maison de Baden-Baden

Pierre Boulez, la première fois que je l’ai photographié – en 1967, dans sa maison de Baden-Baden

C’est l’un de mes correspondants (merci à Monsieur Manuel Cornejo, qui bénéficie d’une Bourse des Muses pour préparer une édition intégrale de la correspondance de Ravel, bon courage !) qui m‘informe de la vente aux enchères d’une série de documents autographes rédigés par Pierre Boulez de 1948 à 1964. Documents (avis aux amateurs !) qui seront mis en vente le mercredi 13 décembre à 14 heures à l’Hôtel Ambassador, 16 boulevard Haussmann.

Brouillons d’articles, de conférences, dont la plupart ont été rassemblés dans les Relevés d’apprenti et autres Points de repère (donc, pas d’inédits !) qui figurent de longue date dans toutes les bonnes bibliothèques musicales mais dont la relecture en 2017 conserve toute sa saveur.

Boulez, quel polémiste ! Il répétait souvent : pour se faire entendre, il faut frapper fort. Et lorsqu’en 1985, pour célébrer le soixantième anniversaire du directeur de l’Ircam, Jean Maheu, alors président du Centre Georges Pompidou, m’a confié la direction d’un livre intitulé Eclat/Boulez (Eclat, référence au titre d’une œuvre pour quinze instruments de Boulez), nous avons établi ensemble un plan où figurait un chapitre sur la polémique, texte de François Lesure (intitulé « la vérité violente ») auquel répondait Boulez : « À certains moments, une idée passe mieux si elle est énoncée de façon plus acérée. » Et il concluait par ce qui nous semble une évidence : « L’article de fond, peu de gens le lisent (oui, j’en sais quelque chose !…), tandis que la polémique est une espèce d’accroche, sans laquelle certaines opinions risquent de passer inaperçues. » Et je fais plus que de le soupçonner : pour Boulez, magnifique manipulateur de la langue française, l’attaque frontale représentait un vrai plaisir, une sorte de délectation lorsqu’il pensait avoir fait mouche… Au diable ses victimes, dont certains ne lui pardonnèrent jamais d’avoir ainsi été montrés du doigt.

René Leibowitz (1913-1972). « Sibelius, disait-il, est le plus mauvais compositeur du monde ! » (DR)

René Leibowitz (1913-1972). « Sibelius, disait-il, est le plus mauvais compositeur du monde ! » (DR)

Genoux flexibles
Dans la diversité et la richesse des documents objets de la prochaine vente, j’ai retenu l’impitoyable jugement de Boulez sur René Leibowitz dont il avait fugitivement fréquenté le cours avec quelques-uns de ses amis de la classe de Messiaen : « Nous avons vu un personnage que je n’aurais l’extrême audace de nommer chef d’orchestre – épaule agressive, genoux flexibles, suer abondamment, sans grand résultat apparent […] On me trouvera, peut-être, facilement enclin à une exagération blasphématoire : que l’on me permette, néanmoins, de douter de la musicalité d’un “chef d’orchestre” qui laisse le piano distancer d’un bon quart-de-ton l’accord des autres instruments, qui se soucie si peu de l’équilibre sonore que l’ensemble instrumental paraît défectueux jusque dans sa conception ; que le sprechstimme n’inquiète vraisemblablement pas du tout puisqu’il a été constamment escamoté avec le bonheur que l’on suppose. Nous pourrions ajouter encore bien d’autres griefs, s’il n’existait un certain sentiment de pitié. » Document de 1949, bien avant Boulez, grand chef d’orchestre.

DR

Erik Satie (1866-1925)
Pas de pitié pour les Morceaux en forme de poire (DR)

L’anecdote suivante (époque du Domaine musical), c’est lui qui me l’a rapportée au cours d’un voyage : il avait reçu un courrier d’un compositeur dont la modernité n’était pas la vertu majeure : Marcel Delannoy, qui lui proposait de programmer dans la prochaine saison du Domaine son Concerto de mai. Réponse de Pierre : « J’en serais ravi, malheureusement la saison se termine en avril… » Oui, quoiqu’on en pense, il y avait aussi de l’espièglerie dans le comportement de Boulez, mais pas dans son œuvre. Rien à voir avec Satie, pris à partie dans l’un des documents précités : « Il ne manque à sa gloire que d’être fondateur du Concours Lépine (rayon des petits inventeurs). – Il fut souvent à la page, quelquefois avant la page : toujours sa musique date » (article publié en juin 1952 dans un numéro spécial de La Revue Musicale consacré à Satie) Et Pierre aurait bien ri si je lui avais dit que j’avais organisé à Arcueil les festivités pour le centenaire de l’auteur des Gymnopédies.

Déjà, Webern
Retenu également le manuscrit d’un document qui fit couler beaucoup d’encre, destiné à la revue anglaise The Score et intitulé « Schoenberg est mort », ce qui, on s’en doute, n’était pas une information historique mais, juste après le décès de l’auteur du Pierrot lunaire, un jugement… On était déjà passé à Webern…

Retenu enfin le texte d’une conférence chère à mon cœur. C’était en 1960 : préparant le Panorama de l’art musical contemporain pour les Editions Gallimard, j’ai demandé à Boulez s’il pouvait nous donner un texte inédit. Il me répondit qu’il n’avait pas le temps (déjà !) d’écrire un nouvel article, mais il me proposait le texte d’une conférence (polémique et passionnante) prononcée à Darmstadt l’été précédent sous le titre « L’Esthétique et les fétiches ». Texte dont mon éditeur a dû garder le manuscrit, jusqu’à cette mise en vente (prix estimé : 800 à 1.000 €)
Et peut-être retrouverai-je un jour dans mes propres archives la lettre de Boulez…

Qui voudra enrichir sa collection d’autographes ? Rendez-vous mercredi prochain.
 
 
 
CouvDiapasonDéc2017

Retrouvez la chronique de Claude Samuel
dans le magazine Diapason de décembre 2017 :

« Ce jour-là, 21 juin 1967 :
la dissolution de la Société des Concerts »

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Claude Samuel

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Les commentaires de Claude Samuel sur l'actualité musicale et culturelle, étayés de souvenirs personnels.

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