Le blog-notes de Claude Samuel Nouveauté au Palais Garnier – Une commande pour Kaija Saariaho – Variations autour de deux nô – Et le commentaire de Peter Sellars

Compositrice finlandaise, fixée à Paris depuis plus de trente ans, Kaija Saariaho est aujourd’hui une personnalité majeure dans le monde de la création lyrique – DR

Compositrice finlandaise, fixée à Paris depuis plus de trente ans, Kaija Saariaho est aujourd’hui une personnalité majeure dans le monde de la création lyrique – DR

L’Opéra de Paris, qui vit à longueur d’années dans le confort d’un répertoire classique dûment confirmé (et son public ne s’en plaint guère), vient d’ouvrir les portes du Palais Garnier à une compositrice qui, comme tant de ses confrères (et consœurs), ressent le désir légitime de poursuivre la prestigieuse lignée d’un art que l’on avait, un peu hâtivement, considéré à bout de souffle dans les années soixante. Un art, pas vraiment populaire, budgétivore, terriblement aléatoire dans ses résultats — un art aussi florissant à Venise au XVIIe siècle qu’à Paris à la glorieuse époque du Romantisme, en quête d’un nouveau destin après Pelléas et Wozzeck.

Changement de décors néanmoins : si les fluctuations du cœur, sous toutes leurs formes, furent le pain quotidien des auteurs du temps passé, le message politique, qui fut longtemps très discret (il y eut tout de même Fidelio et Les Noces de Figaro), s’est infiltré dans le champ clos de l’opéra, tant et si bien — et le désormais fameux Carmen de Florence en est le dernier exemple — que lorsque l’auteur ne l’a pas prévu, certains metteurs en scène se sont empressés de l’y ajouter.

Kaija Saariaho, à l’affiche de l’Opéra Garnier jusqu’au 7 février, a opté pour une autre voie, celle que nous a révélé la culture traditionnelle japonaise. Et cela ne devrait pas nous surprendre : l’opéra n’est-il pas, comme le nô, la conjonction d’un texte, d’une musique et d’une représentation scénique — ce que j’ai essayé naguère de perpétuer dans l’«Opéra autrement »… Et cet Only the sound  remains représenté à Garnier, commande de l’Opéra de Paris créée en 2016 à l’Opéra d’Amsterdam, n’est qu’une variation poétique autour de deux nô : Tsunemasa (Toujours fort), pièce où un luth, déposé sur l’autel du défunt, apaise les tourments d’un favori de l’Empereur et Hagoromo (manteau de plumes), évolution d’une danseuse céleste dans la brume qui enveloppe le sommet du Mont Fuji. De même que Stravinsky empruntait des rites païens pour animer son Sacre, Kaija Saariaho exploite à sa façon, et dans son propre vocabulaire, précis, inventif, élégant, les légendes surgies d’un autre monde.

Scène d’un nô traditionnel – DR

Scène d’un nô traditionnel – DR

 
Le soleil du Levant
Ce transfert bénéficie de la présence de Peter Sellars, ce metteur en scène américain qui, depuis certain Don Juan donné à Bobigny, en passant par le fameux Nixon in China de John Adams, et la non moins fameuse Mort de Klinghoffer du même, ne cesse d’inventer ; et c’est lui qui, via le Festival de Salzbourg, a entraîné notre compositrice finlandaise des brumes du Nord au soleil du Levant.

On peut imaginer ce qu’un Saint-Saëns aurait imaginé pour cette évocation. Kaija Saariaho, pour sa part, loin de tout folklore, a travaillé dans la discrétion et l’allusion, se contentant de deux chanteurs (Philippe Jaroussky transfiguré en Ange, et Davone Tines), d’un quatuor vocal, de trois solistes et d’un quatuor à cordes… Et confiant toute la seconde partie de la soirée aux évolutions de la danseuse américaine Nora Kimball-Mentzos.

Nora Kimball-Mentzos, partenaire habituelle des productions de Peter Sellars – DR

Nora Kimball-Mentzos, partenaire habituelle des productions de Peter Sellars – DR

Pour compléter l’affiche, je noterai que l’adaptation des deux pièces du nô a été réalisée par Ezra Pound (1885-1972), ce poète américain qui s’illustra dans l’apologie du fascisme (et passa treize ans dans un hôpital psychiatrique) et le japonologue Ernest Fenollosa (1853-1908). J’ajouterai qu’au-delà du propos, l’ensemble est parfaitement réalisé, qualité à laquelle le public de la première a été particulièrement sensible et en a longuement témoigné.

Mais mon propre appétit de nô n’a pas été vraiment comblé et c’est avec nostalgie que je songe au nô qu’en qualité de directeur artistique, j’ai convié jadis au Festival de Royan, grâce aux conseils éclairés de René Sieffert (1923-2014, une référence !) et, plus tard, aux deux soirées de nô que j’ai installées selon toutes les prescriptions et codes en usage au Studio 104 de la Maison de la Radio. L’attente commence à me peser…

 
 
PetiteCouv Diap janvier2018 (2)

Retrouvez la chronique de Claude Samuel
dans le magazine Diapason de janvier 2018 :

« Ce jour-là, 26 décembre 1693 :
Louis XIV fait le choix de Couperin »

 

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Claude Samuel

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Les commentaires de Claude Samuel sur l'actualité musicale et culturelle, étayés de souvenirs personnels.

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