Le blog-notes de Claude Samuel Un Parsifal à l’Opéra – Le scandale du Jockey-Club – Baudelaire – La ruée de 1913 – Les filles-fleurs – Minutages

Philippe Jordan (DR)

Philippe Jordan affirme dans « Parsifal » sa passion wagnérienne (DR)

Les wagnériens, si nombreux et ardents à l’Opéra de Paris, auront donc attendu la fin de la saison pour satisfaire leur passion, et quelques jours supplémentaires à la suite d’un malheureux incident technique qui a conduit la Direction à supprimer les premières représentations. Enfin, ils peuvent se plonger (jusqu’au 23 mai) dans l’œuvre ultime de leur idole, ce Parsifal, véritable rituel d’un culte entretenu depuis un grand siècle — et ils ont déjà noté que le spectacle d’ouverture de la prochaine saison sera une reprise du Tristan et Isolde de 2014, mis en scène par Peter Sellars, certes pas de tout repos, mais Philippe Jordan sera toujours au pupitre de chef, ce qui est une belle consolation…

Depuis la fameuse soirée du 13 mars 1861 où, après cinq mois de travail (et 164 répétitions !), en présence de l’Empereur et de l’Impératrice (et de Berlioz et de Théophile Gautier), le public le plus huppé et le plus snob de notre capitale a découvert Tannhäuser et assisté à un mémorable scandale orchestré par les membres du Jockey Club, le public parisien adhère sans réserves aux leit-motive et autres vedettes du Walhalla. Et depuis l’invention des surtitres (une belle invention, décidément !), les aficionados n’ont plus besoin de relire leur Lavignac avant la représentation !

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1882 – Affiche de la création à Bayreuth

(Ce Lavignac, une Bible qui commence par ces mots : « On va à Bayreuth comme on veut, à pied, à cheval, en voiture, à bicyclette, en chemin de fer, et le vrai pèlerin devrait y aller à genoux », le Lavignac réédité en 1980 chez Stock)

Champagne
Mais les débuts parisiens de Wagner ne furent pas un chemin de roses, et c’est Baudelaire qui dut, le premier, s’en excuser dans une missive adressée au compositeur : « Avant tout, je veux vous dire que je vous dois la plus grande jouissance musicale que j’ai jamais éprouvée », et « Vous n’êtes pas le premier homme, Monsieur, à l’occasion duquel j’ai eu à souffrir et à rougir de mon pays. »

Quant à Wagner, il ne porta jamais notre pays dans son cœur et c’est avec une grande résignation qu’il avoua, pendant la guerre de soixante-dix, renouveler malgré la situation ses commandes de champagne.

Ajoutons, pour revenir à notre sujet du jour, que Wagner, en dépit d’un antisémitisme revendiqué, n’hésita pas à confier la création (à Bayreuth) de Parsifal à Hermann Levi. Cosima lui fit remarquer : « Il est juif ». Oui, mais c’est le meilleur…

Le monopole
Afin de conférer à Parsifal son caractère sacré, le compositeur avait interdit toute autre représentation, hors la Colline sacrée, pendant trente ans. Certains théâtres craquèrent avant la fin du monopole. Ainsi le Metropolitan Opera livra Parsifal au public de New York, bouillant d’impatience, dès le 24 décembre 1903 ; mais les artistes qui s’associèrent à ce forfait furent définitivement rayés des listes du Festspielhaus.

Inutile de dire qu’à la fin du délai, ce fut la ruée, et c’est Barcelone qui gagna le pompon ayant commencé la représentation le 31 décembre 1913 sur le coup de 22h30 (compte tenu de la différence d’heure entre l’Allemagne et l’Espagne)… Et Parsifal fut représenté dans plus de cinquante opéras européens entre le 1er janvier et 1er août 1914 ! Cinquante Kundry, est-ce possible ?

À Paris, Parsifal ne fut représenté que le 4 janvier sous la direction d’André Messager, sept mois avant la guerre. Mais à Bayreuth, le premier Français invité par Wieland Wagner à diriger Parsifal, chasse gardée auparavant d’Hans Knappertsbusch, sera Pierre Boulez dont les débuts dans la carrière wagnérienne surprirent violemment, je dois dire, amis et ennemis confondus.

Précision : en 1970, Boulez dirigea Parsifal en 3 heures et 39 minutes. Devançant largement Toscanini qui avait mis 4 heures 48 minutes en 1931… Et Philippe Jordan ? Demandez à la Direction de l’Opéra qui conserve pieusement les minutages de toutes les représentations… Mais, impression de spectateur : il dirige plutôt rapidement, et construit avec justesse et un beau lyrisme le discours wagnérien. Son Parsifal, le ténor Andreas Schlager, ne brille pas spécialement, mais la Kundry d’Anja Kampe conjugue la force de l’expression à la qualité exceptionnelle d’un timbre puissant. Il n’en faut pas moins pour nous consoler d’une mise en scène anodine (sinon la scène très savoureuse des Filles-fleurs tout de jaune vêtues), d’un dispositif scénique inutilement découplé et de costumes d’une grande laideur.

Une vision inattendue des Chevaliers du Graal… (Emilie Brouchon / Opéra National de Paris)

Une vision inattendue des Chevaliers du Graal… (© Emilie Brouchon / Opéra National de Paris)

Le plus humoriste des wagnériens
Wagner, terrain de chasse de prédilection des commentateurs ; et je ne résiste pas au plaisir de vous citer ces quelques lignes de Bernard Shaw, le plus humoriste des wagnériens – ou le plus wagnérien des humoristes : « Ceux qui vont à Bayreuth ne s’en repentent jamais, bien que les représentations soient souvent loin d’être délectables. La façon de chanter est parfois tolérable, comme elle est parfois intolérable. Certains de ces chanteurs ne sont parfois que de simples barriques de bière abîmées. Ils sont trop paresseux et trop vaniteux pour pratiquer la maîtrise de soi et l’entraînement physique qu’on attend, comme une chose naturelle, d’un acrobate, d’un jockey ou d’un pugiliste. Il est vrai que Kundry ne porte plus de robe de bal avec des ruches, à la mode du commencement du règne de Victoria… »

À retrouver dans Le Parfait wagnérien, réédité dans « Les Introuvables » (vraiment « introuvables » ?) des Editions d’aujourd’hui en 1976.

 

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Retrouvez la chronique de Claude Samuel
dans le magazine Diapason de mai 2018 :

« Ce jour-là, 15 décembre 1838 :
Chopin et George Sand à Valdemossa

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Claude Samuel

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Les commentaires de Claude Samuel sur l'actualité musicale et culturelle, étayés de souvenirs personnels.

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