La musique classique est terriblement occidentale, et même ouest-européenne, mais, depuis plusieurs décennies, la musique a suivi le mouvement de notre société, annexant hardiment de nouveaux territoires, en particulier sur le continent asiatique. Assez inégalement, d’ailleurs, car, autant l’Inde continue à cultiver ses propres traditions musicales, ô combien riches, autant les jeunes interprètes japonais, coréens, chinois se jettent sur Beethoven, Mozart et autres Debussy, et prouvent leur compréhension de nos compositeurs classiques en raflant tous les prix des compétitions internationales. Un phénomène que j’ai vécu personnellement au cours des différentes sessions des Concours internationaux de la Ville de Paris, dont le Concours Olivier Messiaen, qui passèrent à la trappe à l’arrivée de l’actuelle majorité municipale à l’Hôtel de Ville.
(Mais le Concours Olivier Messiaen, que j’ai créé en 1967 et qui résiste décidément bien à la vicissitude des temps, est sur le point de renaître dans une petite année sur les bords du Rhône…)
Quant aux compositeurs, ils ont souvent eu du mal à se faire une place au soleil, malgré une indéniable personnalité et, parfois, un grand talent. C’est le cas de Toru Takemitsu, qui fut un ami et, hélas, mourut prématurément, au moment où j’organisais un grand événement en son honneur à Radio France. Toru Takemitsu dont, c’est le moins qu’on puisse dire, n’est pas souvent au programme de nos concerts — joue-t-on davantage nos autres héros du siècle passé, Stockhausen, Berio, Xenakis, Boulez, Kagel ??? — mais dont la récente publication des Ecrits aux Editions Symétrie permet de mieux comprendre le parcours, l’étendue de la culture, et la multiplicité des centres d’intérêt.
Premiers modèles
Première constatation : l’effondrement de l’hégémonie occidentale. Et c’est tout de même à l’Occident que Takemitsu emprunta ses premiers modèles : Claude Debussy, Olivier Messiaen (son « véritable père spirituel »), Pierre Boulez dont « le trille si particulier sonne comme l’éclair »). Toru Takemitsu, qui a vécu le bouillonnement artistique des années cinquante et a rencontré, micro à la main, John Cage, entre deux séances de cinéma, ce cinéma auquel il a consacré quelques partitions.
Quelques ombres surgissent : Luigi Nono, « une nature noble, qui, au premier regard, était distant mais en réalité avait un caractère chaleureux comme le soleil », le peintre Sam Francis, le chorégraphe Merce Cunningham, la formidable chanteuse japonaise Kinshi Tsuruta (dont je ne peux oublier, c’était en 1967, l’extraordinaire « récital » au Festival de Royan, au milieu des rires inconvenants de quelques musiciens d’un de nos orchestres…) Et Chopin dont l’article publié en janvier 1960, commence par ces mots : « En tant que compositeur j’ai un avis négatif sur Chopin. » Suit un intéressant développement que je vous laisse découvrir dans le livre précité…
Le privilège
Et, confidence, « il m’a fallu endurer cette infamie : vivre de ma musique. Il n’y a là aucune forme de privilège accordé aux artistes mais un sentiment de honte et une tension que tout un chacun peut ressentir au cours d’une existence » — « le sentiment de honte » que, seul, un Japonais, ressent avec cette intensité.
Ces Japonais que nous apprendrons à mieux connaître au cours des prochains mois, à l’occasion des « Japonismes », lesquels nous livreront à domicile un Gagaku impérial, un Nô (dont le professeur René Sieffert (1923-2004) me révéla jadis les secrets, un Bunraku (magnifique et très rare spectacle de marionnettes à la Cité de la musique), un grand Kabuki à Chaillot, avec, en illustration, l’inévitable tableau d’Hokusai qui représente le Mont Fuji que je pouvais entrevoir de ma chambre à Tokyo, lorsque le temps était clair…
Un très bon été musical pour mes fidèles blogueurs que j’espère retrouver après la pause estivale !
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