ut pictura musica… bresciana

Denis Grenier
Ecrit par Denis Grenier

Stradivarius STR 33879 [2011]

Margherita Serra, Corsetto per Cleopatra, maiolique polychrome, 2008

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MARGHERITA SERRA

Artiste polyvalente, Margherita Serra est à la fois architecte et sculpteur, elle pratique son art au moyen de divers matériaux et techniques : marbre, bronze, bois, fer, aluminium, argile, craie, et verre, auxquels elle incorpore parfois des fils ou d’autres matières, de même que la maïolique, utilisée ici. Conçue spécialement pour l’exposition intitulée Corpi segreti tenue à Rome au Museo nazionale del Palazzo di Venezia en 2008, l’œuvre se veut un hommage au peintre romain Carlo Maratta [1625 – 1713], auteur d’une Cléopâtre conservée en ce même musée. Véritable cuirasse destinée à enserrer le corps, le corset sculpté acquiert un riche contenu symbolique et se charge de multiples significations érotiques, cette armature intime renvoyant à un certain idéal féminin à inscrire dans le cadre de l’histoire moderne. Métaphore d’une nouvelle liberté, la sculpture marque le terme d’un long processus de libération de la constriction à laquelle la femme a été soumise à partir du XVIIe siècle, et duquel elle réussira à se soustraire vers le milieu du XXe siècle.

Dans son article I corpi immaginari di Margherita Serra, publié dans Arte e Arti Magazine en mai 2008, Daniela VANINI fait valoir que grâce à l’imagination, à la fantaisie, et à la créativité du sculpteur, les matériaux transformés en objets par l’artiste semblent se libérer de leur dureté pour entrer dans une danse imaginaire, se mouvoir sur la pointe des pieds dans la salle de l’exposition, et dialoguer aves les fresques de Giorgio Vasari qui en décorent les murs. Selon Vanini, Margherita Serra joue avec le burin, le ciseau, et les autres outils du sculpteur, les masses plastiques et les structures géométriques, les formes et les symboles, en une recherche continue d’une féminité absolue qui en repousse les limites esthétiques pour accéder à la partie la plus profonde et et la plus mystérieuse de l’inconscient féminin [libre adaptation de l’auteur de ce texte]. Elle élimine le superflu de la matière brute et modèle la forme pour la transformer en une silhouette, une véritable lingerie intime. Austères et délicats, ses corsets sont des soutiens monumentaux, qui rappellent la solidité et la rigidité d’origine de la matière tout en suggérant la délicatesse de l’univers féminin. L’artiste y parvient en toute fidélité au principe de rigueur et de symétrie inhérent à sa formation d’architecte, en ajoutant flocons, broderies, rubans, sillons et inserts divers, qui ornent ses sculptures pour faire sentir la matérialité sous la forte présence psychologique. L’objet est conçu comme une évocation des rites les plus anciens et les plus nouveaux d’une intimité la plus secrète.

Cette œuvre se situe dans la foulée de la Cléopatre de Maratta datant du Seicento, une représentation monumentale de la femme idéalisée, fière de sa beauté et affirmant sa présence, en se présentant vêtue de manière à l’imposer. Or sous les formes rigoureuses et abstraites de Serra se perçoit une matrice architecturale qui structure des œuvres représentant des personnages qui, par la force de leur personnalité, ont dominé l’histoire de l’humanité. Amor pericoloso, Cléopâtre en sait quelque chose, et par delà le temps, la musique de Vinaccesi y fait écho, de même qu’aux amours d’autres héroïnes, dans un temps culturel différent certes, mais qui, ayant conservé les données de base d’une longue tradition, dit la condition humaine dans sa plus fondamentale vérité, et chante encore et toujours la même passion, la même douleur.

Comme le compositeur Vinaccesi, et Alessandro Casari, chef de l’ensemble Gli Erranti, Margherita Serra est native de Brescia, lieu de rencontre des arts réunis.

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Carlo Maratta [Maratti], Cleopatra, huile sur toile, Rome, musée du Palais de Venise

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Commentaire sur le CD de

Thérèse Bécue,   musicienne

Benedetto  Vinaccesi

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Personnalité musicale éminente à Venise durant les deux premières décennies du XVIIIè siècle, compositeur oublié pendant plus de deux siècles, Vinaccesi sort de l’ombre avec le livre de Michael Talbot A musician in Brescia and Venice in the Age of Corelli, publié en 1994, et deux enregistrements, les Motetti, puis les Cantate e Sonate par l’ensemble Gli Erranti.

Benedetto Vinaccesi est né en 1666 à Brescia. Il apprend l’orgue et certainement d’autres instruments auprès du capo musico de la cathédrale de Brescia. Après Brescia et Mantoue, il va à Venise et occupe deux postes importants : Maître de chapelle de 1698 à 1715 à l’Ospedaletto dei Poveri Derelitti, l’hôpital le plus important de Venise, et le poste d’organiste à la Capella Ducale di San Marco au second orgue, de 1704 jusqu’à sa mort en 1719. A la différence de ses contemporains vénitiens, Gasparini, Lotti, Albinoni, Vivaldi, Vinaccesi mène une carrière tranquille de musicien studieux malgré sa notoriété et l’admiration qu’il suscite à son époque. Il compose sonates, cantates, oratorios, opéras, motets, 450 œuvres, écrit-il en 1713, mais une grande partie de ses œuvres n’a pas été retrouvée. Un certain nombre de lettres de sa main ont été mises à jour, dans lesquelles il fait part de réflexions sur son travail et à propos de son époque. Ces documents sont d’un grand intérêt pour la connaissance de la musique de son temps et l’histoire de la vie musicale à Venise.

La tradition instrumentale de Brescia, avec ses ateliers de lutherie où l’on fabrique les premiers violons italiens, est un terreau propice à la musique de Vinaccesi. Entre Corelli, son aîné, admis à la célèbre Accademia Fiorentina de Bologne en 1670, et Vivaldi, nommé en 1703 Maître de violon à l’Ospedale della pietà à Venise, Benedetto Vinaccesi publie ses premières Sonates de chambre en 1687. Le recueil fait preuve d’originalité car ce sont les toutes premières Sonates à être composées de plusieurs mouvements reprenant des titres de danses comme dans les Suites françaises de la même époque, et comportant toujours un menuet. D’une qualité inattendue d’un compositeur si jeune, avec la cohérence des motifs d’un mouvement à l’autre et l’insertion de ritournelles instrumentales apparentées, ces compositions recèlent des merveilles et des tournures inventives et ingénieuses.

Les Cantates pour voix seule et basse continue, dans lesquelles airs et récitatifs alternent , font entendre la plupart des passages les plus réussis où l’ornementation jaillit, dans un langage contrapuntique d’une grande finesse.

Dans l’église de S. Lorenzo Martire à Carzago Riviera, de la province de Brescia,  Gli Erranti, ensemble dirigé par Alessandro Casari de son clavecin – le nom de l’ensemble est choisi en référence à une Académie illustre de l’histoire de Brescia – interprètent quatre Cantates pour voix de soprano ou voix de basse et deux Sonates, IV et III.

Chaque Cantate illustre un récit, un argument dramatique en mettant en musique les sentiments qui animent un personnage, et constitue un court dramma per musica. La voix de Gemma Bartagnoli, d’une grande expressivité, et celle de Fulvio Bettini aux souples inflexions sont proches du sens du texte, attentives à chaque mot. Les divers instruments n’exercent pas seulement la fonction de basse continue, ils ont aussi un rôle à jouer dans la dynamique de l’ensemble. Instruments et voix composent une véritable représentation dramatique des affetti, comme sur une scène où les acteurs, avec les mimiques du visage et leurs gestes, seraient aussi danseurs. Aussi bien dans les Sonates que dans les Cantates, on perçoit l’énergie, l’élégance, la spontanéité, la détermination, la douceur, l’émotion … dans la succession des mouvements. La richesse du contrepoint et des harmonies n’empêche en rien l’expression des affetti. Au contraire, l’ingéniosité de l’écriture contribue à en souligner les caractères, et la singularité des timbres en affine les nuances.

Les contrastes entre textures et couleurs, entre les différents rythmes propres aux mouvements de danses génèrent une intensité, une impulsion à ces pièces. La vivacité et la sensibilité dont font preuve les chanteurs et les instrumentistes permettent de sentir, d’écouter la diversité de l’expression dans une invention mélodique qui se déploie, se lie et se délie. Le goût du chant qui anime Alessandro Casari à la direction de l’ensemble sous-tend la courbe de chaque tournure, de chaque phrase, pour les instruments aussi bien que pour les voix. Il en résulte un charme qui porte à partager l’enthousiasme de Gli Erranti.

Les Cantates

Or fia mai ver, o lontananza infida, per soprano e basso continuo

Belve se mai provaste, per soprano e basso continuo

In lontananza della sua donna, per basso solo e basso continuo

Amor pericoloso, per soprano e basso continuo

Les Sonates  IV dedicata al buon gusto di Sua Eccellenza et  III

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Vous trouverez les CD présentés à l’émission

CONTINUO

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